Mardi 20 octobre, l’Assemblée nationale a débuté l’examen en 1ère lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Intervenant au nom des députés GDR,
Jacqueline Fraysse a dénoncé la diminution des moyens consacrés à la santé, qui reste inscrite dans une démarche uniquement comptable.
« Par ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016, le Gouvernement poursuit, dans une démarche comptable confirmée, son objectif prioritaire, pour ne pas dire unique : réduire à tout prix les dépenses de santé. Et pour cause, puisqu’il faut compenser les milliards qu’il offre aux entreprises dans le cadre du CICE et du pacte de responsabilité.
Il s’agit donc d’économiser sur la santé 10 milliards d’euros en trois ans, dont 3,4 milliards en 2016, auxquels s’ajoutent 5,3 milliards d’exonérations de cotisations sociales patronales, que vous avez décidé d’élargir dans la mise en œuvre du deuxième volet du pacte de responsabilité.
J’ai parlé de démarche comptable car vous ne raisonnez pas à partir de la réponse aux besoins sociaux et de santé, en veillant bien sûr à la meilleure utilisation possible des deniers publics auxquels nous sommes très attachés et qui ne doivent pas être gâchés dans des dépenses inutiles.
Vous faites l’inverse : vous commencez par fixer un cadre budgétaire contraint avant d’examiner ce qu’il est possible de faire avec cette enveloppe de plus en plus réduite.
Ce texte confirme la réduction des moyens financiers consacrés à la couverture des besoins sociaux et à la santé. Et vous osez prétendre qu’un tel choix n’aura pas de conséquences pour nos concitoyens ? Il faut être sérieux ! Personne ne peut vous croire car tout le monde sait que votre équation, mieux prévenir et mieux soigner avec des milliards d’euros en moins, est impossible à résoudre.
Vous brandissez un déficit estimé à 9,7 milliards d’euros pour 2016 en vous félicitant de l’avoir réduit. De fait, le déficit de la branche famille est divisé par deux, passant de 1,6 milliard en 2015 à 800 millions en 2016. Quant à la branche vieillesse, elle devrait être excédentaire de 900 millions d’euros en 2016, après avoir connu un déficit de 600 millions d’euros en 2015.
Mais quel est le prix à payer pour nos concitoyens ! S’agissant de la branche famille, l’amélioration des comptes est d’abord due au gel de la revalorisation des prestations familiales en 2014 et en 2015. L’entrée en vigueur, l’été dernier, de la modulation des allocations familiales y a également contribué.
Cette réforme, qui remet en cause le principe d’universalité et que vous avez présentée comme une mesure de justice sociale, est en réalité une mesure d’économie : 865 millions d’euros en moins pour les familles chaque année tandis que, selon une projection de la Caisse nationale des allocations familiales, 10 % des familles verront leurs allocations diminuer.
Vous réalisez 865 millions d’euros d’économies, et vous ne les redistribuez pas ! Il ne s’agit pas, pour vous, de donner l’argent des riches aux plus pauvres, mais d’économiser de l’argent sur les familles !
En ce qui concerne la branche vieillesse, rappelons que ce redressement s’explique essentiellement par le résultat cumulé des reculs sociaux engagés par la droite et que vous avez, hélas, poursuivis. La réforme conduite par le ministre Éric Woerth en 2010 fixe l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans au lieu de 60. Elle a été confortée par la réforme de 2011 allongeant la durée de cotisation de quarante à quarante et une année et demie.
S’y ajoutent les dispositions que vous avez prises en 2014 allongeant la durée de cotisation à quarante-trois années pour disposer d’une retraite à taux plein, ainsi que celles décidées en 2015 pour augmenter les cotisations vieillesse et geler les pensions.
Par ailleurs, nous n’oublions pas la dégradation persistante du Fonds de solidarité vieillesse, dont le déficit s’établit à 3,7 milliards d’euros en 2015, ni les perspectives très préoccupantes des régimes complémentaires qui viennent d’être négociées par les partenaires sociaux – nouveau report de l’âge de départ et abaissement du niveau des pensions.
Dans ce contexte, alors que la retraite figure parmi les premiers sujets de préoccupation des Français, votre autosatisfaction a quelque chose d’indécent tant elle cache une réalité amère pour nos concitoyens.
Concernant la branche accidents du travail-maladies professionnelles, les objectifs de dépenses pour le régime général sont identiques à ceux de l’an dernier, autour de 12 milliards d’euros. Cette branche, encore excédentaire cette année, dissimule mal la sous-déclaration massive des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Certes, un mécanisme de compensation à la branche maladie en atténue les conséquences, mais sans résoudre le problème de fond dont finalement, tout le monde s’accommode.
À ce propos, votre attitude à l’égard de la prévention des risques relatifs à l’amiante nous préoccupe. L’an dernier, sur ces mêmes bancs, je m’inquiétais du report de l’entrée en application d’un décret datant de 2012, qui fixait différents seuils d’exposition à l’amiante plus contraignants qu’auparavant.
Ce décret n’est toujours pas complètement entré en application.
Comment devons-nous interpréter cette inertie, sachant que la vie de dizaines de milliers de salariés est menacée ?
Ainsi, alors que les enjeux de santé publique et de prévention des risques, d’ailleurs source d’économies, sont plus que jamais essentiels dans cette société fortement touchée par le chômage et les inégalités, vous choisissez de réduire drastiquement l’Objectif national des dépenses de l’assurance maladie pour le fixer à 1,75 % pour 2016. C’est le seuil le plus bas depuis vingt ans, et bien en deçà de la progression tendancielle des dépenses, évaluée par les pouvoirs publics aux alentours de 4 %.
Autrement dit, en exigeant des établissements et des personnels de santé qu’ils limitent leurs dépenses à un peu moins de la moitié de celles réellement nécessaires pour répondre aux besoins, soit vous entretenez sciemment le déficit de la Sécurité sociale, qui vous est bien utile pour faire accepter les reculs sociaux, soit vous décidez autoritairement de ne pas répondre aux besoins sociaux et de santé de nos concitoyens. En réalité d’ailleurs, vous faites les deux.
Dans le détail, l’ONDAM pour les établissements de santé est fixé à 1,75 % et celui pour les établissements et services médico-sociaux à 1,9 %, alors que les prévisions de dépenses des premiers augmenteront mécaniquement de 2,87 % et celles des seconds de 3,21 %, ne serait-ce qu’en raison de l’inflation. Vous décidez donc de réduire encore leurs moyens, ce qui se traduira, sur le terrain, par de nouvelles baisses d’effectifs et de qualité des prestations offertes par des établissements pour la plupart déjà exsangues après plusieurs années consécutives d’efforts importants.
Ainsi, les hôpitaux, pourtant déjà à la limite de la rupture, devront économiser 1 milliard d’euros, qui s’ajoute aux 600 millions d’euros d’économies réalisées l’an passé. Pour tenir vos objectifs d’ici 2017, selon un document interne du ministère de la santé dont la presse s’est fait l’écho en mars dernier, c’est l’équivalent de 22 000 emplois de la fonction publique hospitalière qui devraient être remis en cause.
Quant au « virage ambulatoire », c’est encore pour vous l’occasion de réaliser des économies : vous en espérez 465 millions d’euros ! Si le développement de la chirurgie ambulatoire, c’est-à-dire sans hospitalisation, est effectivement à l’ordre du jour, vous faites délibérément l’impasse sur les investissements nécessaires pour réorganiser les pratiques, former les équipes soignantes, acquérir les équipements adéquats.
Rien de tout cela ne vous préoccupe.
Une fois de plus, votre seul souci est financier, comptable : vous exigez d’eux qu’ils fassent des économies sans précédent !
D’ailleurs, l’ONDAM du Fonds d’intervention régional, censé être le moteur de la rénovation des pratiques médicales et des modes d’exercice professionnel, est en contradiction totale avec l’exigence de développer la chirurgie ambulatoire et de rationaliser les pratiques hospitalières dans les territoires puisqu’il connaît une baisse vertigineuse, passant de 2,1 % en 2015 à 1 % en 2016 !
Quant à l’ONDAM des soins de ville, il est fixé à 2 %, réduisant chaque année un peu plus la marge de
manœuvre des médecins de ville pour faire face au surcroît de consultations et au renforcement de leurs missions dans le cadre du développement de la médecine ambulatoire.
Votre obsession comptable, c’est évident, ne vous conduit pas à mesurer les conséquences de ces choix catastrophiques qui obligent un nombre toujours plus grand de nos concitoyens à renoncer à des soins indispensables, notamment les jeunes et les personnes âgées, qui laissent un peu plus de 47 000 personnes handicapées, dont plus de 12 600 enfants, sans aucune solution d’accompagnement, qui asphyxient nos hôpitaux publics et en réduisent sans cesse les activités, qui ne répondent pas aux nouveaux défis que constituent l’explosion des maladies chroniques, comme le diabète ou les maladies liées à la pollution de l’environnement, l’accroissement des pathologies liées à la pénibilité, à la précarité de l’emploi ou au chômage de masse, la prise en charge des personnes âgées ou encore le développement des soins palliatifs que vous avez pourtant promis.
Du coup, même si ce texte comporte quelques avancées (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen) telles que l’amélioration des droits à la complémentaire santé pour les CDD courts, la prévention de l’obésité, la généralisation du dispositif de garantie contre les impayés de pensions alimentaires ou encore la garantie du secret et la gratuité des consultations réalisées dans le cadre de la prescription d’un contraceptif pour les jeunes filles âgées de plus de 15 ans, ces quelques avancées apparaissent bien maigres au regard des priorités urgentes que votre projet de loi n’aborde pas, notamment la question cruciale du financement de la Sécurité sociale.
En effet, si vous prônez la rigueur pour les dépenses, nous vous sentons moins opiniâtres en matière de lutte contre la fraude aux cotisations patronales, fraude dont le coût total est estimé par la Cour des comptes à plus de 20 milliards d’euros pour la seule année 2012 alors que vous n’avez récupéré que 850 millions en 2014.
Nous plaidons pour que des moyens suffisants soient consacrés à cette tâche qui s’inscrit dans la lutte contre les déficits.
Il est évident que la Sécurité sociale, dont nous saluons cette année le soixante-dixième anniversaire, a besoin de moyens nouveaux pour continuer à remplir sa noble tâche, qui est, dans un cadre solidaire, de protéger tout le monde, notamment les plus vulnérables, contre les accidents de la vie. Contrairement à ce que vous voulez nous faire croire, ces moyens existent. Mais leur mise en œuvre relève de choix politiques courageux que vous refusez de faire.
Quand, par exemple, nous proposons de soumettre à cotisations sociales les revenus financiers des sociétés, c’est-à-dire les revenus qui ne sont pas investis pour créer des emplois, au même taux que celui des salariés, nous proposons une mesure qui est à la fois une source de recettes nouvelles et de justice sociale et une incitation au développement économique. Pourtant, vous vous y opposez obstinément, préférant pénaliser nos concitoyens en réduisant les moyens publics.
Vous tentez de nous rassurer en expliquant que l’État compensera aux caisses de la Sécurité sociale les dépenses engagées en faveur du patronat, certes, mais personne n’est dupe : ce n’est qu’un jeu d’écritures, car toutes les sommes « compensées » par l’État manqueront dans d’autres budgets, celui des collectivités locales par exemple, qui devront réduire leurs investissements et les services qu’elles offrent à la population.
À l’arrivée, ce sont toujours les mêmes qui sont pénalisés !
Vous tentez de nous faire croire que l’assurance complémentaire permettra de combler l’insuffisance croissante des remboursements de la Sécurité sociale. Là encore, c’est un leurre. Les complémentaires sont des assurances privées que nombre de nos concitoyens ne peuvent pas s’offrir. Vous le savez, puisque vous tentez de mettre en place des sortes de rustines, à différents niveaux, pour aider un peu les personnes les plus en difficulté.
Cette année, ce sera en faveur des personnes de plus de 65 ans, dont vous venez de découvrir qu’elles payent cher. Eh oui, les complémentaires n’entrent pas dans le cadre de la solidarité ! Seule une meilleure prise en charge par la Sécurité sociale peut répondre à ces problématiques.
Or non seulement vous ne proposez aucune avancée en ce sens, mais vous consacrez les reculs en poursuivant une véritable privatisation progressive de notre protection sociale, privatisation que la droite avait entamée et que, hélas, vous n’avez pas abandonnée. »
Jacqueline Fraysse