« Il aggrave la difficulté scolaire », « il cristallise les défauts de notre système éducatif », « il est profondément inégalitaire », « maillon faible » du système scolaire… De quoi parle-t-on ? Du collège. Avec la présentation d’une nouvelle réforme par Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, le collège est aujourd’hui au centre des débats.
Nous sommes enseignant-es, nous sommes face aux élèves tous les jours dans nos classes et même si nous pouvons partager le constat d’un collège qui n’est pas en mesure d’assurer des objectifs de démocratisation scolaire, nos vues divergent en tous points sur les causes énoncées et les solutions apportées pour permettre la réussite de tout-es et l’acquisition d’une culture commune.
La réforme propose une nouvelle organisation du collège, structurée sur deux axes : l’interdisciplinarité et l’autonomie des établissements, annoncées comme la solution à tous les maux. D’abord, c’est faire rapidement l’impasse sur les politiques éducatives menées ces dernières années, dictées par l’austérité, qui ont eu pour conséquences une baisse générale des moyens, en particulier dans les collèges, et une dégradation des conditions d’enseignement. Ensuite, même si nous avons la conviction que l’émancipation de nos élèves peut passer par ces deux approches, ce projet de réforme détourne fondamentalement ces deux leviers pour en faire, en trompe-l’œil pédagogique, un outil de régression pour l’enseignement dans les collèges et un accélérateur du creusement des inégalités.
Interdisciplinarité ou relégation des disciplines ?
La réforme prévoit une organisation « modulaire » de 20% du temps scolaire sous la forme d’accompagnement personnalisé et d’EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires). Ainsi, l’apparition de ces enseignements se fait sans accorder le moindre financement supplémentaire, ce qui empêche un travail en équipe, une mise en place de dédoublements de classes ou de co-interventions dans des conditions correctes.
Pour mieux justifier de prendre des moyens exclusivement sur les dotations des disciplines déjà enseignées, l’approche disciplinaire est dans le même temps traitée avec mépris par la ministre et reléguée au rang de pratique vieillotte et peu opérante : le collège « est monolithique dans son approche disciplinaire, suscitant parfois l’ennui, voire la perte du goût pour le travail et l’effort », évoque-t-elle dans son discours de présentation de la réforme.
Outre le mépris affiché, un problème de fond se pose : comment construire de l’interdisciplinarité, efficace et stimulante, et non pas factice, quand les acquisitions disciplinaires sont négligées ? L’interdisciplinarité ne peut être un levier pédagogique pertinent que si les élèves appréhendent les apports spécifiques de chacune des disciplines dans le champ des connaissances.
Une approche interdisciplinaire existe déjà bel et bien dans les collèges. Le nier, c’est ignorer la réalité des pratiques dans les établissements où les équipes pédagogiques construisent quotidiennement des objets de connaissance communs, où l’on donne du sens au savoir en travaillant ensemble. Une réforme réellement ambitieuse offrirait les possibilités concrètes de réussite de ces pratiques : non pas un cadre imposé de huit thèmes à la pertinence discutable, reléguant les disciplines à une conception passéiste de l’enseignement, mais du temps de concertation et une formation ambitieuse qui permettraient de réfléchir collectivement aux pratiques interdisciplinaires pour libérer les initiatives et l’imagination des personnels.
Autonomie des équipes enseignantes ou contrôle des hiérarchies intermédiaires ?
Dans l’esprit de la réforme, « sortir de l’uniformité » signifie renforcer la gestion locale en donnant la possibilité aux collèges de moduler les horaires disciplinaires au sein des cycles d’enseignement, engendrant ainsi des différences de parcours entre élèves. Cet affaiblissement des cadrages nationaux mettra fin au collège unique et contribuera un peu plus à l’accroissement des inégalités scolaires et sociales.
Enseignant-es enfermé-es dans les cadres rigides des programmes, incapables d’imaginer des ressorts pédagogiques adaptés aux difficultés des élèves, inaptes à concevoir des projets en lien avec les réalités locales, figé-es dans l’immobilisme… Autant de clichés qui résonnent dans le creux du discours de la ministre. Notre pratique quotidienne du métier est pourtant bien éloignée de ces lieux communs. La souplesse, l’initiative, l’inspiration selon les réalités locales, les élèves et leurs spécificités sont au cœur de l’élaboration de nos séances de cours, dans la limite, il faut bien le dire, de conditions d’exercice de plus en plus dégradées.
C’est cette autonomie liée à notre savoir faire professionnel que nous voulons voir reconnue et renforcée, celle qui nous permet d’exercer notre liberté pédagogique sans pour autant en rabattre sur nos exigences. Les logiques managériales que porte la réforme sont précisément à l’opposé de cette vision. D’autant que les nouvelles mesures instituant la rémunération des différents coordonnateurs ainsi que la place occupée par le conseil pédagogique (une instance non élue au sein des établissements) accroîtront le pouvoir des chefs d’établissements relayé par les pressions des hiérarchies intermédiaires.
Cette réforme porte des logiques dangereuses rejetées dans les établissements : dérégulation, caporalisation, renforcement des inégalités… Faire confiance aux professionnel-les que nous sommes aurait nécessité une concertation au sein des salles des professeurs qui contrairement aux idées reçues sont ouvertes au changement et d’où des pistes innovantes pour une réforme émancipatrice du collège auraient pu émaner.
La situation de l’enseignement au collège nécessite une réelle ambition, en termes d’investissement et de perspectives pédagogiques, ce que ne propose pas cette réforme. Une ambition qui ne sera possible qu’en rompant avec les logiques de restrictions budgétaires qui s’abattent sur le système éducatif depuis de nombreuses années.