8 mars. Le Monde. Des juives et juifs de gauche contre l’ins­tru­men­ta­li­sa­tion de l’an­ti­sé­mi­tisme

Français juives et juifs, nous appe­lons à mener le combat contre l’an­ti­sé­mi­tisme en refu­sant son instru­men­ta­li­sa­tion.

Dans une récente tribune parue dans Le Monde, des person­na­li­tés se récla­mant de la judéité et de la gauche dénoncent la montée de l’an­ti­sé­mi­tisme et l’in­suf­fi­sance des réac­tions face à ce danger. Nous parta­geons sans réserve cette préoc­cu­pa­tion. Nous avons en revanche des désac­cords avec eux sur le diagnos­tic et sur les réponses.

La multi­pli­ca­tion de propos et d’actes anti­sé­mites au cours des derniers mois doit être dénon­cée. Nous ne pensons pas pour autant que la France soit deve­nue en quelques années un pays anti­sé­mite.

Nous ne pensons pas qu’on puisse dénoncer le regain d’anti­sé­mi­tisme sans parler de la montée de l’ex­trême-droite dans le monde. Elle pros­père en Alle­magne avec l’AFD ou aux États-Unis avec Musk et Banon, mais aussi en France, où elle véhi­cule et légi­time toutes les formes de racisme au nom de la préfé­rence natio­nale ou du refus du « grand rempla­ce­ment ». Nous ne pouvons passer sous silence les bras levés et autres clins d’œil au nazisme quand nous analy­sons la résur­gence de l’an­ti­sé­mi­tisme. Même si l’an­ti­sé­mi­tisme n’est pas son apanage, c’est encore et toujours à l’ex­trême-droite que pullulent les préju­gés et actes racistes, anti-arabes, anti-noirs, isla­mo­phobes et anti­sé­mites. C’est parmi elle qu’on trouve les nombreuses personnes condam­nées par la justice française pour racisme, anti­sé­mi­tisme et néga­tion­nisme.

En mettant en cause la « gauche extrême » qui « ne veut pas la paix […] se nour­rit des haines et alimente la haine », cette tribune choi­sit une autre cible, sans préci­ser ni qui, ni quelles prises de posi­tion elle vise. Le seul propos mentionné est une phrase sortie de son contexte et détour­née de son sens, à partir de laquelle est mis en accu­sa­tion, sans le nommer mais de façon trans­pa­rente et infa­mante, Rony Brau­man dont le parcours et les enga­ge­ments sont irré­pro­chables.

Nous contes­tons l’assi­milation de toute critique d’Is­raël et du sionisme à l’an­ti­sé­mi­tisme. La tribune du 3 mars demande « si faire d’Is­raël un État paria n’est pas le substi­tut contem­po­rain de la fami­lière et ancienne mise au ban des juifs en tant que peuple paria. » Nous pensons que quand la Cour Pénale Inter­na­tio­nale émet un mandat d’ar­rêt contre Neta­nya­hou et Gallant (son ancien ministre de la Défense) en les accu­sant de crimes de guerre et de crimes contre l’hu­ma­nité, elle ne vise ni à « faire d’Is­raël un État paria » ni une « mise au ban des juifs en tant que peuple paria ». Elle fait œuvre de justice au nom du droit inter­na­tio­nal.

Disant cela, nous combat­tons l’an­ti­sé­mi­tisme qui s’ap­puie sur des amal­games insup­por­tables. Nous combat­tons l’an­ti­sé­mi­tisme en refu­sant de lais­ser croire que tout juif serait soli­daire et donc complice des crimes contre l’hu­ma­nité en cours à Gaza. Nous combat­tons l’an­ti­sé­mi­tisme en condam­nant une poli­tique de colo­ni­sa­tion perma­nente et la néga­tion des droits natio­naux du peuple pales­ti­nien, et donc son droit à un État.

Les auteurs de la tribune demandent « Comment une partie de la gauche en est-elle venue à délé­gi­ti­mer le seul État juif du monde ? » Nous leur deman­dons comment, en étant à gauche ou tout simple­ment fidèle aux prin­cipes répu­bli­cains, peut-on ne pas critiquer un État fondé sur une base ethnico-reli­gieuse ?  Car, depuis sa créa­tion, Israël est pris dans une contra­dic­tion fonda­men­tale : est-il, comme l’af­firme sa décla­ra­tion d’in­dé­pen­dance, un État démo­cra­tique qui « assu­rera une complète égalité de droits sociaux et poli­tiques à tous ses citoyens, sans distinc­tion de croyance, de race ou de sexe », ou bien un État juif qui aurait voca­tion à rassem­bler les juifs du monde ? 

L’État d’Is­raël est né d’un proces­sus de colo­ni­sa­tion, comme d’autres États. Tous les États des conti­nents améri­cains, l’Aus­tra­lie et la Nouvelle-Zélande sont nés d’un fait colo­nial ayant abouti à la créa­tion de nations dans des proces­sus complexes où la lutte pour la recon­nais­sance des popu­la­tions autoch­tones reste inache­vée. Le fait colo­nial sioniste s’est aussi trans­formé en fait natio­nal avec la nais­sance de l’État israé­lien, avec sa culture propre – musique, cinéma, litté­ra­ture – et avec l’hé­breu comme langue.  Mais la contra­dic­tion origi­nelle a été tran­chée dans le mauvais sens en 2018 par la loi faisant d’Is­raël « L’État-nation du peuple juif ». Cette logique a été résu­mée à l’époque par la ministre de la Justice Ayelet Shaked : « Israël est un État juif, pas un État de toutes ses natio­na­li­tés. Les citoyens sont tous égaux, mais ils ne disposent pas de droits natio­naux égaux ». 

Parce qu’at­ta­chés au respect des droits natio­naux des peuples israé­lien et pales­ti­nien, nous pensons que la voie d’un État ethnico-reli­gieux est une impasse. Elle est celle du gouver­ne­ment d’ex­trême-droite qui nie les droits du peuple pales­ti­nien et menace d’ex­pul­ser les habi­tants arabes de Gaza et de Cisjor­da­nie occu­pée illé­ga­le­ment depuis 1967. Nous sommes indi­gnés par le silence, le déni et l’in­dif­fé­rence assour­dis­sants de tant d’in­tel­lec­tuels et de poli­tiques sur les massacres accom­pa­gnés de tortures et de viols commis à Gaza et en Cisjor­da­nie par l’ar­mée israé­lienne et les colons.

Nous français juives et juifs consi­dé­rons que notre place est ici pour parti­ci­per à la lutte contre l’an­ti­sé­mi­tisme, contre tous les racismes, pour une société plus juste et plus soli­daire. Le combat indis­pen­sable contre l’an­ti­sé­mi­tisme, en France et à travers le monde, passe par la condam­na­tion de la haine alimen­tée par le fonda­men­ta­lisme reli­gieux et le recours au terro­risme que partagent diri­geants du Hamas et diri­geants israé­liens. Il suppose aussi de réfu­ter l’es­sen­tia­li­sa­tion des Pales­ti­niens assi­mi­lés au Hamas et celle des Israé­liens (et des juifs) assi­mi­lés à Neta­nya­hou.

Nous refu­sons que la dénon­cia­tion de l’an­ti­sé­mi­tisme serve à légi­ti­mer la poli­tique crimi­nelle du gouver­ne­ment Neta­nya­hou comme nous dénonçons l’ins­tru­men­ta­li­sa­tion du géno­cide des juifs d’Eu­rope pour justi­fier le massacre par dizaines de milliers de civils Gazaouis et Cisjor­da­niens.

Premiers signa­taires

Edgar Blau­stein, mili­tant asso­cia­tif

Sylvain Cypel, jour­na­liste, essayiste

Sonia Dayan-Herz­brun, profes­seure émérite à l’Uni­ver­sité Paris Cité

Sonia Fayman, socio­logue 

Domi­nique Glay­mann, profes­seur émérite en socio­lo­gie

Pierre Khalfa, écono­miste, Fonda­tion Coper­nic

Marie José Mond­zain, philo­sophe

Annie Ohayon-Dekel, produc­trice cinéma 

Eyal Sivan, cinéaste, essayiste

Michèle Zémor, ex-conseillère région Ile-de-France

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.