L’histoire s’accélère. Et nous, nous sommes à la peine. A gauche, il y a urgence à sortir de la sidération et à unir les forces émancipatrices. Pour se mettre au travail. Contre l’extrême droite qui avance, il nous faut résister et proposer une issue progressiste, qui ne sera crédible que par le nombre et la diversité de celles et ceux qui la portent.
Appelons un chat, un chat : le trumpisme est une forme contemporaine du fascisme, et la vague brune, un poison mortel. Les premières décisions de Donald Trump, le discours de Javier Milei à Davos, la percée de l’AfD en Allemagne, le mépris total du président des Etats-Unis pour Volodymyr Zelensky, le représentant du peuple ukrainien agressé par Vladimir Poutine… en disent long, très long sur les périls extrêmes de notre temps.
En France, entre dépression politique intérieure inédite et incapacité à retrouver de l’influence sur la scène internationale, c’est la paralysie et le concours Lépine des idées d’extrême droite. Président des riches et fossoyeur de la démocratie, Emmanuel Macron se révèle chaque jour un peu plus agent du chaos. Soyons lucides : cette décrépitude du pouvoir en place facilite la montée du populisme autoritaire en France.
La loi du plus fort
Après l’échec effrayant des expériences de type soviétique, les politiques néolibérales en Occident, croyant triompher, ont enfanté le retour d’une forme de fascisme. C’est sur ce désastre de plus de quarante ans de « There is no alternative » que s’est façonné le rejet du personnel politique, des « sachants », des médias, sur laquelle l’extrême droite prend appui pour distiller son message démagogique et, à tant d’égards, mensonger.
Au menu du trumpisme, tel qu’annoncé à la Conservative Political Action Conference de Washington : la promesse de destruction de l’Etat, de chasse aux migrants et de « liberté d’expression », faux nez de l’encouragement aux discours de haine et de la mainmise de l’oligarchie sur la conversation publique. En ligne de mire : le « wokisme », qui signifie dans leur bouche féminisme, antiracisme, écologie, défense des minorités. Et une méthode : le complotisme et les fausses informations.
En tout domaine, ces tenants de la réaction et de la prédation vantent la loi du plus fort. Assumant un libéralisme économique débridé et le déni du dérèglement climatique, ils ont en commun le dévoiement d’un mot : liberté. Pour eux, il s’agit de celle des marchés financiers et des dominants. Dans leur monde, les barrières douanières ne sont qu’à l’avantage des gagnants de la globalisation, la puissance est supérieure au droit international, les frontières ne sont qu’affaire de rapports de force.
Investir dans le commun
A gauche, en défendant ce que j’appelle l’esprit public (1), nous portons une vision aux antipodes de la leur. A leur obsession identitaire, nous opposons la passion de l’égalité. A leur éloge du plus fort, la force de la justice. A leurs faits alternatifs, la vérité des faits. Ce que nous proposons, c’est une économie de la mise en commun, un Etat stratège, une démocratie active capable de combattre la marchandisation du monde et le pouvoir de l’oligarchie, de faire reculer la xénophobie et le sexisme, d’agir pour le climat et la biodiversité, de développer les sécurités collectives, de protéger le vivant, d’étendre les protections et les services publics. Les individus ne peuvent avoir la capacité d’être libres que s’ils ont, a minima, un toit sur la tête, de quoi se nourrir sainement, accès aux soins, à l’éducation et à la culture. Et pour cela, il faut investir dans le commun.
L’heure n’est pas à mollir, ni à s’excuser, ni à en rabattre sur ce qui fait le cœur d’un projet de gauche. Car c’est la cohérence d’une proposition politique et son imaginaire alternatif à l’ordre existant qui fait aussi sa force. Et la logique d’accommodement de la social-démocratie a montré, partout en Europe, et encore tout récemment en Allemagne, l’impasse dans laquelle elle conduisait et la rupture, tant elle ne répond pas aux besoins des classes populaires.
Sur les enjeux internationaux qui surplombent aujourd’hui, ne survalorisons pas ce qui fait clivage entre nous, en partant de nos schémas habituels. Il nous faut inventer ensemble une réponse neuve et claire. La rupture avec les Etats-Unis de Trump enterre l’un des différends profonds entre les gauches, l’atlantisme. Dans le nouvel ordre du monde qui se dessine, il n’y a pas plus d’Occident que de Sud global. Nous devons chercher des alliés à l’intérieur de l’Europe et en dehors pour défendre des objectifs et des principes, comme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ni esprit munichois, ni engrenage guerrier : ce chemin de crête est celui qui peut mettre en sécurité les peuples et produire de la justice, condition de la paix durable. C’est peut-être là un fil qui peut nous réunir.
Le spectacle de la fracturation
Nous sommes la solution. Encore faut-il que ce « nous » existe. En pleine tempête, le tragique doit nous guider pour que nous nous dépassions, que nous nous hissions à hauteur d’événements. Alors que l’agression néofasciste est là, sous nos yeux, le spectacle à gauche est celui de la fracturation.
La gravité du moment appelle à cesser de se regarder le nombril, à stopper cette aspiration à vouloir tuer ses partenaires d’hier car ils doivent être ceux de demain. C’est la condition pour gagner. Oui, les différentes familles politiques de gauche, les écologistes, les citoyennes et citoyens qui se sont levés avec le Nouveau Front populaire contre le RN, le monde du travail et de la culture menacés par l’illibéralisme et l’austérité, doivent prendre le chemin du rassemblement. Sans doute faut-il commencer par construire un cadre avec celles et ceux qui partagent la nécessité absolue de faire cause commune. Les autres suivront. Ou l’histoire les balayera.
(1) Clémentine Autain, l’Avenir, c’est l’esprit public, Le Seuil, à paraître le 7 mars.
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