Droit international : la banalité des crimes commis contre les migrants
« Dans le monde entier, les migrants sont enfermés dans des camps, brutalisés et souvent poussés au bord de la famine. Beaucoup en meurent. Ces crimes devraient enfin être punis, par la Cour Pénale Internationale.
Agnès Callamard, Rapporteuse Spéciale de l’ONU sur les Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, a présenté un nouveau rapport important à l’Assemblée Générale ce 26 octobre 2017.
Le rapport traite de la« Mort illégale de réfugiés et de migrants » – ce qui est déjà un thème atypique dans sa fonction. Ces dernières années, son bureau s’est consacré presque exclusivement à la « guerre contre le terrorisme », et particulièrement aux morts causées par des attaques de drones.
Dans son rapport, elle s’inquiète d’« une criminalité internationale dont la grande banalité aux yeux de beaucoup en fait une tragédie particulièrement grave et inquiétante. » Cette affirmation est plutôt radicale, et même historique, au moins dans le cadre d’un rapport soumis par un organe de l’ONU.
Callamard en énonce clairement les implications pratiques : « La Cour Pénale Internationale doit envisager de mener une enquête préliminaire sur les crimes atroces commis envers les réfugiés et les migrants dès lors qu’il existe des motifs valables de croire que de tels crimes se sont produits et qu’ils relèvent de ses compétences juridictionnelles. » (…)
Les Crimes contre l’humanité, pas nécessairement en rapport avec la guerre, sont de la compétence de la CPI. (…)
Tandis que le droit pénal international a débordé du strict cadre de la guerre, on peut dire que la guerre et la militarisation ont empiété sur le domaine de la vie civile. L’« infinitude » de la guerre, à laquelle les commentateurs se réfèrent souvent de nos jours, ne doit pas être comprise uniquement dans le sens de la durée de la guerre. Elle reflète aussi la façon dont la guerre s’est étendue sans fin, devenant dans une large mesure le moule qui façonne notre quotidien. La « Mort illégale de réfugiés et de migrants » n’est qu’un aspect de ce problème. Avec l’accroissement des inégalités au niveau mondial, les nouvelles technologies de transport et de communication, et la catastrophe climatique en cours, les personnes affectées migrent vers les sources de subsistance que représentent les pays du « Nord global ». Les populations de ces derniers commencent à se sentir menacées, plus par l’afflux de pauvres (souvent noirs ou basanés) que par une attaque armée.
Des frontières militarisées sont souvent dressées le long des lignes de fracture entre les mondes « développé » et « en développement ». Depuis 2009 au moins, l’agence européenne Frontex déploie en Grèce une opération de contrôle aux frontières. Cette surveillance s’est accrue, impliquant l’usage de drones et des conditions de détention que la Cour européenne des droits de l’homme a jugées inhumaines.
L’Australie assure le contrôle de ses frontières maritimes au moyen d’une opération navale dirigée par un général de division. L’Australie a pris la disposition particulièrement cynique de mettre en service des radeaux sans hublots, prétendument insubmersibles, afin de repousser les réfugiés vers les côtes étrangères. En 2015, des pays européens ont demandé et obtenu du Conseil de sécurité des Nations Unies une résolution leur permettant d’utiliser la force contre les passeurs en Méditerranée, une mesure extraordinaire dénotant clairement la militarisation sans précédent des contrôles aux frontières. Comme dans d’autres domaines de notre vie, la militarisation va de pair avec la privatisation. L’Australie a passé des accords avec Nauru et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, et a recours à des firmes privées comme G4S et Ferrovial pour l’hébergement et l’administration de camps d’internement indéfini et inhumain. L’UE se sert de la Turquie et, plus récemment, des milices libyennes, pour empêcher les migrants de traverser la Méditerranée.
L’agence US de l’immigration et des douanes (ICE) est de plus en plus souvent accusée de pratiques « assimilables à de la torture » dans sa mise en œuvre des impératifs gouvernementaux en matière de déportation. Certains de ses centres de détention sont également gérés par le privé.
Callamard fait une remarque très importante en concluant que certains éléments de ces pratiques constituent des crimes au regard de la législation internationale. Elles incluent des actes interdits qui, de façon systématique et généralisée, constituent une attaque contre les migrants.
Leur impact sur les populations les plus fragilisées est terrible, allant de la mort par noyade à l’épidémie de maladies mentales et d’autodestruction constatée dans les camps de réfugiés du monde entier. (…)
Nous pensons que, dans le monde entier, les populations aisées font la guerre à la lutte pour l’égalité que mènent les populations pauvres avec leurs pieds.
En particulier dans les camps de rétention extraterritoriaux d’Australie, cette guerre est conduite au moyen de méthodes criminelles. Si la Cour Pénale Internationale doit choisir un cas spécifique sur lequel enquêter, le cas de l’Australie est bien le plus scandaleux. (…)
La « banalité » même de ces crimes, selon nous, témoigne de leur gravité et de la nécessité qu’ils soient poursuivis.
Il ne faudrait pas non plus que ce changement d’orientation se limite aux crimes commis contre les migrants. Les résultats du changement climatique qu’on a constaté récemment à Porto Rico et en Californie montrent que le combat de ceux qui sont le plus durement touchés par les émissions responsables de ce changement climatique ne fait que commencer. Il serait extrêmement dangereux de négliger ces nouvelles priorités, et cela ne ferait que confirmer les prévisions les plus pessimistes pour le 21ème siècle.
Pour paraphraser le sociologue Zygmunt Bauman, cela dessine une réalité dans laquelle une partie de l’humanité jetterait au rebut la vie de l’autre partie. (…)
►Mort illégale de réfugiés er de migrants, Rapport de la Rapporteuse spéciale du Conseil des droits de l’homme sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Nations Unies A/72/335, 15 août 2017
Source : http://www.spiegel.de/international/world/editorial-on-crimes-against-migrants-a-1175239.html