Merci pour cette invitation à la fête de l’Huma de Poitiers. Il est toujours utile de pouvoir débattre hors des temps électoraux.
Je voudrais débuter par trois constats.
- Premier constat. Depuis de longues années, nos luttes sont exclusivement défensives, en résistance à l’offensive idéologique toujours plus forte des libéraux. Cela vaut dans tous les domaines (protection sociale, services publics, et travail…). Et là, c’est en train de changer.
- Deuxième constat : un monde du travail qui change à toute vitesse. Notre culture commune du monde du travail s’est fondée sur l’idée que le progrès technique allait de pair avec le progrès social, que le travail pouvait être enrichissant, permettre la liberté de l’individu, le rendre autonome … Or il existe une rupture dans les années 1970 : fin du « plein emploi ». Depuis, on assiste à une segmentation du salariat et de ses formes avec un développement de « l’indépendance obligée »/uberisation, précarisation (18% des jeunes de 18–24 ans en 1982, 48% en 2012), chômage de masse pour près de 6 millions de chômeurs (soit près d’un sur 5)
- Troisième constat : le chantage à l’emploi est l’outil des libéraux pour aujourd’hui casser les solidarités et renforcer la victoire de classe. L’idée se résume ainsi : le travail est un coût et pour cette raison, il faut lever tous les obstacles à l’embauche. C’est l’enjeu, chez nous, de la loi-travail
Petit florilège sur cette idée :
- « Vu la situation économique, ne plus payer plus les heures supplémentaires, c’est une nécessité. » (Europe 1, 22/01/2016) Emmanuel Macron
- « J’aime quand il y a beaucoup d’emplois précaires plutôt que quand il y a beaucoup de chômage. il faut lutter contre l’idée qu’un emploi précaire est mauvais. » (RTL, 21/01/2016) Maurice Lévy
- « Le CDI ne doit pas être une prison pour l’entreprise. » (LCP, 10/03/2016) Bruno Le Roux
- Ou alors plus insidieux : « Il y a des millions de chômeurs, notamment chez les jeunes et il est nécessaire de prendre des mesures » : Alain Claeys, le 13 mai devant la mairie de Poitiers face aux manifestants de la loi-travail
Mais le fait que le mouvement de lutte contre la loi-travail s’inscrive dans la durée est un signe positif : quand une lutte dure, on discute du fond, on remet en cause des certitude, que ce soit chez les Nuit Debout, les syndicalistes, les politiques de gauche… on confronte. Autrement dit : on commence à réinterroger les formes de la lutte mais aussi la place du travail dans la société. C’est la bataille culturelle que nous devons mener pour faire entendre.
Pour ne pas être dans une simple résistance, il faut donner à voir notre projet de société alternatif qui porte à la fois le refus de l’exploitation par le travail mais aussi l’idée d’un travail émancipé. En trois points :
- Premier objectif : interroger le sens du travail : pourquoi travailler ?
Aujourd’hui avec millions de personnes sans emploi mais pas sans travail parce qu’une partie du travail socialement utile n’est pas rémunéré (engagements sociaux, bénévolat, soutien familial …), il faut faire la distinction entre emploi (c’est-à-dire ce qui déclenche une rémunération et donc doit être la réalité pour tous) et le contenu du travail, c’est-à-dire ce qu’on y fait
Cela veut dire aussi interroger l’utilité sociale et environnementale des productions (le militaire, le nucléaire, l’obsolescence programmée, …) - Deuxième objectif : comment travailler ? Rompre avec le lien de dépendance employeur/employé (subordination). Quelques pistes rapides déjà à l’œuvre dans notre société et qu’il est possible de généraliser. Porter la revendication de l’appropriation sociale collective c’est à dire de la possession collective des entreprises en prenant appui sur les modèles de l’économie sociale et solidaire, mais aussi avec des droits de préemption pour les salarié-es. Porter l’exigence démocratique dans l’entreprise, jusque dans les TPE, sur le principe : un travailleur/une voix, les entreprises qui sont une zone de non-droit et à plus large échelle arrêter de croire au « dialogue social », qui pourrait exister entre patrons et salariés.
- Enfin, troisième objectif : établir le plein emploi. Il y a un outil facilitant : la RTT (Réduction du Temps de Travail) avec 32 heures comme première étape. Le problème n’en est pas un pour les grands groupes qui doivent juste rogner sur les dividendes des actionnaires. Pour les TPE, il y a un accompagnement spécifique (soutien financier, favoriser les mutualisations, …).Sur ce thème l’Humain d’abord, en se contentant d’une vague idée, et de la seule référence aux 35h n’est pas à la hauteur. On peut créer entre 1 et 1,5 millions d’emplois. Il faut embaucher dans le service public : besoins nouveaux (petite enfance, perte d’autonomie, …) mais aussi existant. 0,5 à 1 million d’emplois ? Pour la transition écologique, il existe de nombreux secteurs d’activité (isolation, énergie, agriculture, …) : Plusieurs centaines de milliers d’emplois…
C’est bien, mais ceci ne suffit pas : cela pose donc la question plus globale d’un « Nouveau statut du travail salarié (NSTS) » qui contient l’idée d’un contrat de travail unique pour tous les salarié-es : une protection pour chaque salarié-e, de la fin de la scolarité obligatoire jusqu’à la mort qui garantirait un revenu pour chacun :
- doit être une nouvelle garantie interprofessionnelle,
- transférable d’une entreprise à l’autre et opposable à chaque employeur,
- assurant à chaque travailleur dès son entrée dans la vie active un certain nombre de droits que tout employeur se doit de respecter, comme le droit à la retraite, etc. »
- financé de manière mutualisée par l’ensemble des entreprises.
Cela empêche les employeurs de faire tomber les salariés dans le chômage
Conclusion
Dans la période il nous faut :
- faire entendre ces propositions alternatives
- maintenir les luttes dans la durée : unité dans les luttes, unité contre la répression (manif actuelle, répression syndicale comme chez les Goodyear ou les Air France vendredi prochain)
- clarifier : il y a bien, à gauche, deux orientations irréconciliables, et il faut le montrer à tous les échelons, du local au national pour ne pas brouiller le message qu’on porte : il s’agit de combattre Hollande, mais aussi ses petits soldats locaux…