Extraits
Interview réalisée par Jean-Baptiste Jacquin, Le Monde, 1 /04:2020
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« Dans un entretien au « Monde », le Défenseur des droits s’inquiète de l’accès aux droits et aux services publics dans cette période de crise.
Dans un entretien au Monde, Jacques Toubon, Défenseur des droits, estime que les mesures coercitives prises par le gouvernement pour faire face à l’urgence sanitaire respectent « pour le moment » l’Etat de droit. Mais il appelle à « réfléchir au rôle futur des services publics », alors que l’accès égal aux droits est actuellement mis à mal par la crise du coronavirus.Quels problèmes de droit pose la crise sanitaire et le confinement général de la population ?
La crise sanitaire actuelle nous impose trois défis. Il y a bien sûr celui de l’équilibre entre les mesures de contrainte restreignant les libertés pendant l’urgence sanitaire et les garanties de ces libertés. Le second enjeu est celui de l’égalité de tous et de toutes en particulier dans l’accès aux droits et aux services publics, afin que cette situation ne crée pas d’inégalités supplémentaires.
Un troisième défi dépasse la mission du Défenseur des droits. Nous avons aujourd’hui la démonstration de ce qu’est l’interdépendance dans le monde. Cela souligne la nécessité d’un droit situé au-dessus des souverainetés étatiques. (…)
La mission que confie la Constitution au Défenseur des droits est de veiller au respect des droits fondamentaux et donc à ce que l’état d’urgence sanitaire ne leur porte pas atteinte.
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Je pense que ces mesures respectent pour le moment l’Etat de droit. En ce qui concerne la justice, par exemple, il est évident que l’allongement des délais de détention provisoire ou la réduction de la collégialité et du débat contradictoire sont des mesures extrêmement fortes. Mais, elles répondent à l’urgence du confinement, pourvu qu’elles s’arrêtent avec l’état d’urgence sanitaire. De même en droit du travail, certaines mesures dérogent profondément à nos règles comme la durée maximum du travail hebdomadaire.
Avez-vous des inquiétudes sur le caractère temporaire de ces mesures d’exception ?
Le précédent de l’état d’urgence décrété en 2015 pour lutter contre le terrorisme est troublant car on a maintenu un certain nombre de ses mesures dans le droit ordinaire avec la loi sur la sécurité intérieure du 30 octobre 2017. Je pense cependant que le sujet est aujourd’hui très différent. Mais, la sortie du confinement sera un défi pour toute la société.Face à la peur, terroriste hier, sanitaire aujourd’hui, l’opinion semble prête à accepter, voire demander, des mesures qui restreignent des libertés fondamentales…
C’est pour cela que débattre en conscience des mesures à prendre permet de s’opposer à l’état de sidération.Dans une telle crise, qu’en est-il de l’accès aux droits ?
Nous constatons que les inégalités deviennent encore plus criantes avec l’état d’urgence sanitaire. En particulier en raison de l’évanescence des services publics que le Défenseur des droits décrit depuis plusieurs années.
Quand on instaure des attestations de sortie en période de confinement, a-t-on pensé aux deux millions de personnes illettrées dans le pays, ou aux malvoyants ou à d’autres personnes handicapées ? Je suis frappé de voir aujourd’hui que ce sont les associations, la société civile en général, qui se substituent ou complètent l’action de l’Etat et des collectivités territoriales pour faire face aux besoins des personnes les plus dépendantes, précaires ou fragiles.
Que vont devenir les majeurs sous tutelle qui n’ont pas de carte bancaire à l’heure où de moins en moins de commerçants acceptent des paiements en espèce par crainte du virus ?
Quant à la situation des enfants, le droit à l’éducation doit être respecté dans cette période quelles que soient les situations sociales. Le rythme de l’enseignement à distance devrait par exemple être adapté aux élèves qui ont le plus de mal à suivre. Comment les enfants roms peuvent-ils suivre cet enseignement à distance une fois retournés dans leurs campements ou bidonvilles ? Les progrès qui ont été faits dans la scolarisation de ces enfants sont balayés par les circonstances.(…)
J’ai demandé au ministre compétent que soit mis en place un pilotage national de l’Aide sociale à l’enfance. J’ai aussi interpellé la ministre de la justice qui a réagi rapidement à la question du risque de diffusion du Covid-19 dans les prisons surpeuplées, même si les mesures devront sans doute aller plus loin.
(…)Nous devons réfléchir au rôle futur des services publics et à cette interdépendance planétaire.(…)