Media­part. « La répu­blique contre ses enfants »

Affaire Béthar­ram, réforme de la justice : la Répu­blique contre ses enfants

Samedi, François Bayrou a rencon­tré des victimes de l’ins­ti­tu­tion catho­lique pour tenter d’éteindre l’in­cen­die. À l’ar­ri­vée, cette semaine a tout du naufrage poli­tique pour l’exé­cu­tif. Qu’il s’agisse des violences faites aux enfants ou de son offen­sive sur la délinquance des mineurs, aucune de ses poli­tiques n’est à la hauteur.

Mathilde Mathieu

À Notre-Dame-de-Béthar­ram, le « perron » était le nom d’une puni­tion, le châti­ment par excel­lence. Les élèves jugés indis­ci­pli­nés étaient envoyés sur cette plate­forme en bord de rivière pour y rester pendant des heures, parfois des nuits entières, en slip et en tee-shirt, y compris l’hi­ver. « Une mise à l’écart tempo­raire pour aider le jeune à comprendre et se calmer », reven­diquait un formu­laire distri­bué aux parents. Un purga­toire, en réalité.

Ce passage au « perron », cepen­dant, n’était qu’un supplice parmi d’autres, plus graves encore. Depuis 2023, une centaine de victimes ont ainsi saisi la justice pour dénon­cer des violences psycho­lo­giques, physiques et sexuelles – y compris des viols –, commises jusque dans les années 2010 au sein de ce collège-lycée catho­lique sous contrat, financé sur fonds publics. Soit une montagne de plaintes dépo­sées après des décen­nies de déni et d’omerta poli­tique.(…)

Ce samedi, le premier ministre s’est enfin décidé à rencon­trer un collec­tif de victimes, dans sa mairie de Pau. Mais il aura fallu qu’il y soit acculé, à l’is­sue d’une semaine de mensonges inte­nables.(…)

En résumé : « C’est pas de ma faute. » Puisque, en 1996, lorsqu’il était ministre de l’édu­ca­tion natio­nale, un rapport d’enquête expé­di­tif produit par le recto­rat a blan­chi l’éta­blis­se­ment. Et puis après 1997, il avait quitté la rue de Grenel­le…

Vagues promesses

Aux victimes, en tous cas, il a fait samedi quelques promesses, dont l’en­voi d’un renfort de magis­trat·es à Pau pour accé­lé­rer le trai­te­ment du dossier. Ou le lance­ment d’une réflexion sur « le statut des victimes » quand les faits sont pres­crits : « Je n’ai pas la réponse, mais on va cher­cher. »

Pas un mot, cepen­dant, sur l’ave­nir de la Ciivise (Commis­sion indé­pen­dante sur l’in­ceste et les violences sexuelles faites aux enfants) et de ses 82 recom­man­da­tions, auxquelles le gouver­ne­ment n’a pas donné suite à ce jour.

En fait, sur le fond du dossier, et quelle que soit l’am­pleur de ses mensonges ou dissi­mu­la­tions passées, le premier ministre n’aura pas daigné, en une semaine, pronon­cer le mot de « pédo­cri­mi­na­lité ». Et il a eu l’air, samedi, de décou­vrir l’am­pleur du phéno­mène, dans l’Église en parti­cu­lier.

Comme si la Ciase (Commis­sion indé­pen­dante sur les abus sexuels dans l’Église) n’avait pas rendu son rapport en 2021 et livré le nombre de victimes : 330 000 mineur·es ont subi des agres­sions sexuelles, entre 1950 et 2020, de la part de reli­gieux ou de laïcs en lien avec l’Église (dans les inter­nats notam­ment). Comme si elle n’avait pas établi que « l’Église catho­lique est le milieu dans lequel la préva­lence des violences sexuelles est la plus élevée » après les cercles fami­liaux et amicaux. De ce problème systé­mique, François Bayrou, le fervent catho­lique, n’a pas voulu – ou pas su – parler samedi.

Au-delà de la pédo­cri­mi­na­lité, d’ailleurs, il n’a pas trouvé non plus les mots pour condam­ner les dérives de l’édu­ca­tion « à la dure » chérie par Béthar­ram, respon­sables de souf­frances chez des géné­ra­tions d’en­fants. « Les violences, c’est ce qui faisait l’ADN de l’éta­blis­se­ment, explique pour­tant le porte-parole des victimes, Alain Esquerre. Le corol­laire de cette éduca­tion stricte était de briser l’en­fant. »

« Briser l’en­fant », c’était même le plan : celui d’« éduca­teurs » persua­dés qu’il faudrait en passer par là pour faire adve­nir des adultes.

Mais ne nous y trom­pons pas : cette haine des enfants, que le premier ministre refuse de nommer, n’est pas une affaire parti­cu­lière, ni surtout une histoire ancienne.

 

La semaine qui vient de se dérou­ler montre à quel point la Répu­blique est prête à sacri­fier certains de ses enfants, par manque de moyens bien sûr, d’idées progres­sistes sans doute, sous pres­sion aussi d’une extrême droite qui fait se multi­plier comme des petits pains les projets réac­tion­naires.

Car « briser l’en­fant » au lieu de l’éduquer, le répa­rer, l’éle­ver, c’est bien le risque pris par Gabriel Attal, avec sa propo­si­tion de loi sur la délinquance des mineurs, qui prétend « restau­rer l’au­to­rité de la justice » – suppo­sée laxiste – face aux adoles­cents violents. Adop­tée jeudi par l’As­sem­blée natio­nale sous les huées de toutes les gauches, mais avec les voix de l’ex­trême droite, elle fait un sort au prin­cipe de « primauté de l’édu­ca­tif sur le répres­sif » qui fonde la justice des mineurs depuis 1945.

Si le texte de Gabriel Attal est un jour promul­gué, les jeunes de 16 et 17 ans auteurs de faits graves pour­ront, dans certains cas, être jugés en « compa­ru­tion immé­diate », une procé­dure expé­di­tive et propice à l’in­car­cé­ra­tion réflexe, réser­vée jusqu’ici aux adultes.

Par ailleurs, la respon­sa­bi­lité pénale de certains réci­di­vistes de plus de 16 ans sera alignée sur celle des majeurs. « L’ex­cuse de mino­rité » – ce prin­cipe mal nommé d’at­té­nua­tion de la respon­sa­bi­lité qui veut que les peines encou­rues par les moins de 18 ans soient divi­sées par deux – était jusqu’ici la règle ; elle devien­dra dans ces cas-là l’ex­cep­tion. Si les juges tiennent vrai­ment à la rete­nir, ils devront moti­ver leur déci­sion. Autant dire : se justi­fier.

Et ce n’est pas juste un prin­cipe qu’on renverse, c’est un regard qu’on porte toujours un peu plus de travers sur des enfants souvent issus de milieux précaires, élevés par leur seule mère, priés demain de marcher droit ou sinon en rond dans leur cour de prome­nade, c’est-à-dire en prison. Comme si la moindre statis­tique avait un jour démon­tré l’ef­fi­ca­cité de l’in­car­cé­ra­tion pour préve­nir la réci­dive chez les moins de 18 ans…

Enfer­més, ces derniers « reçoivent cinq fois moins d’en­sei­gne­ment que leurs cama­rades de dehors », rappe­lait mardi la contrô­leuse géné­rale des lieux de priva­tion de liberté, Domi­nique Simon­not.

(…)

Le « premier flic de France » remporte pour­tant la palme des slogans simplistes : « La justice des mineurs est un fiasco. »

Un État défaillant

En réalité, la délinquance des moins de 18 ans n’ex­plose pas, elle stagne. Mais certains crimes parti­cu­liè­re­ment graves, notam­ment des meurtres de mineurs par des mineurs, font régu­liè­re­ment la une des médias – telle la mort d’Élias tué pour un portable.

« L’État de droit n’est pas l’État de faiblesse », avait tonné François Bayrou à propos de cette délinquance, dans son discours de poli­tique géné­rale. Ce n’est pour­tant pas l’état du droit le problème, mais la faiblesse des moyens inves­tis dans la préven­tion des passages à l’acte ou de leur aggra­va­tion.

Ainsi, à la protec­tion judi­ciaire de la jeunesse (PJJ), char­gée d’ac­com­pa­gner les mineur·es condam­né·es ou en passe de l’être, les bras manquent à tous les étages : éduca­teurs ou éduca­trices, psycho­logues, profes­seur·es pour remé­dier à la désco­la­ri­sa­tion… Remé­dier, pas redres­ser ! Mais cet automne, pour des raisons budgé­taires, des milliers de jeunes ont été privés du jour au lende­main de leur « éduc », après que le gouver­ne­ment Attal a mis fin à des centaines de CDD – une aber­ra­tion en partie répa­rée sous la pres­sion des grèves.

Les bras manquent, mais les lits aussi dans les héber­ge­ments de la PJJ, que les tribu­naux s’ar­rachent pour tenter de couper des ados de leur entou­rage ou de leur quar­tier. « C’est la guerre pour trou­ver une place », confiait récem­ment un procu­reur à Media­part, recon­nais­sant « renon­cer à requé­rir des place­ments ». Confronté au nombre insuf­fi­sant de juges des enfants, le même opte d’ailleurs pour des alter­na­tives aux pour­suites dans des dossiers où, il y a quelques années, il aurait déféré sans hési­ter.

« Nous allons augmen­ter de cent le nombre de juges des enfants », a certes rétorqué le garde des Sceaux mercredi. En admet­tant que l’exé­cu­tif s’y tienne, c’est moins de une arri­vée par tribu­nal. À étaler jusqu’en 2027.

Des victimes sacri­fiées

Il y a pire. Le gouver­ne­ment fait mine d’ou­blier que la majo­rité des mineurs pour­sui­vis pour des actes de délinquance sont aussi, sinon d’abord, des victimes en danger dans leur famille – violences physiques ou sexuelles, négli­gences, etc. La justice, ils la connaissent déjà : c’est celle qui est censée les proté­ger de leurs parents – soit en les plaçant, soit par des « mesures éduca­tives » au domi­cile.

Or, cette mission de protec­tion de l’en­fance est en plein effon­dre­ment, sans que le gouver­ne­ment songe à s’en préoc­cu­per, au motif que l’exé­cu­tion de ces mesures judi­ciaires, une fois ordon­nées, relève des dépar­te­ments et de leurs services de l’Aide sociale à l’en­fance (ASE).

De plus en plus souvent, elles sont ainsi mises en attente pendant des mois, voire plus d’un an, faute de moyens dispo­nibles dans les terri­toires. Y compris lorsqu’il s’agit d’ex­fil­trer un enfant tabassé ou possi­ble­ment violé.

Le 29 janvier, dans une déci­sion d’une ampleur inédite, le Défen­seur des droits a pour­tant rappelé l’État à ses obli­ga­tions légales et inter­na­tio­nales, esti­mant qu’il « porte une respon­sa­bi­lité majeure dans les atteintes aux droits des enfants consta­tées ». Adres­sée à François Bayrou et à une pléiade de ministres, cette ogive n’a explosé à la tête de personne.

Il faut dire qu’au­cun·e ministre dédié·e à l’en­fance n’existe plus dans le gouver­ne­ment – après que quatre se sont succédé entre 2022 et 2024.

Quant à l’ins­tal­la­tion d’un·e haut commis­saire, promise par Emma­nuel Macron pour compen­ser, on attend toujours un nom. (..)

Ainsi, les violences faites aux enfants, y compris maltrai­tances insti­tu­tion­nelles, crou­pissent semaine après semaine dans les tréfonds de l’agenda.

Alors que la réforme de la justice adop­tée jeudi par l’As­sem­blée a été présen­tée comme une réponse aux révoltes urbaines de l’été 2023 (liées à la mort de Nahel), le budget 2025 acte d’ailleurs un rétré­cis­se­ment des crédits de la poli­tique de la ville : 40 millions d’eu­ros en moins pour les quar­tiers prio­ri­taires, asso­cia­tions de proxi­mité, dispo­si­tifs de décou­verte cultu­relle et spor­tive, etc. Sans comp­ter la fin du dispo­si­tif des adultes-relais ou l’ex­tinc­tion progres­sive des « bataillons de la préven­tion »…

Les ados des quar­tiers trinquent, encore et encore. Enfer­més de plus en plus dans leur statut de « mineurs », cata­lo­gués sous ce terme souvent dépré­cia­tif. « Nul d’entre nous ne dirait : “J’em­mène mon mineur chez le méde­cin”, ni “mon mineur a été renvoyé du collège” », rappelle Domi­nique Simon­not. « [Ce mot] est réservé à certains enfants : ceux de l’ASE, ceux placés par un juge, ceux qui sont étran­gers et isolés, ceux qui commettent des délits voire des crimes, ceux qui ne sont pas tout à fait d’équerre, ceux qui souffrent de troubles psychia­triques… » Ceux-là n’entrent pas dans les cercles de nos atten­tions, ils restent sur le perron.

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