Stathis Kouvé­la­kis : « Le non n’est pas vaincu, nous conti­nuons »

Résumé de la situa­tion par la rédac­tion de Ballast. Le 27 juillet.
Résu­mons à très grands traits. Le 25 janvier 2015, Syriza remporte les élec­tions légis­la­tives grecques sur un programme de rupture ; le 5 juillet, c’est un toni­truant « OXI », à 61 %, qui envoie les petits barons de l’ordre euro­péen dans les cordes ; le lende­main, Yánis Varoufá­kis, ministre des Finances grec, est poussé vers la sortie ; le lundi 13 juillet, le tout-venant apprend que les dix-huit heures de bataille psycho­lo­gique, à la fameuse « table des négo­cia­tions », ont eu raison des espoirs mis dans le gouver­ne­ment grec : capi­tu­la­tion en rase campagne, entend-on. La couleuvre de l’aus­té­rité avalée contre un hypo­thé­tique rééche­lon­ne­ment de la dette. « J’as­sume la respon­sa­bi­lité d’un texte auquel je ne crois pas », affirme Tsipras à la télé­vi­sion publique grecque. Mercredi, le comité central de Syriza rejette l’ac­cord et dénonce « un coup d’État contre toute notion de démo­cra­tie et de souve­rai­neté popu­laire ». Les minis­tères démis­sion­naires partent en claquant la porte, le texte passe avec les voix de la droite et de la social-démo­cra­tie grecques, les grèves géné­rales repartent et la place Syntagma s’en­flamme. « Trahi­son » ; la messe est dite. Pour Stathis Kouvé­la­kis, philo­sophe fran­co­phone, membre du Comité central de Syriza et figure de la Plate­forme de gauche, l’équa­tion s’avère toute­fois plus complexe, si l’on tient à prendre toute la mesure de ces récents événe­ments. Entre­tien pour y voir plus clair et, surtout, orga­ni­ser la riposte.

Stathis Kouvé­la­kis : « Le non n’est pas vaincu, nous conti­nuons »

Voici quelques passages impor­tants de cette longue inter­view. Les sous-titres sont de notre respon­sa­bi­lité.PB.

La négo­cia­tion de janvier à juillet.
La Troïka des créan­ciers n’était nulle­ment dispo­sée à céder quoi que ce soit, et a immé­dia­te­ment réagi, en mettant dès le 4 février le système bancaire grec au régime sec. Tsipras et le gouver­ne­ment, refu­sant toute mesure unila­té­rale, comme la suspen­sion du rembour­se­ment de la dette ou la menace d’un « plan B » impliquant la sortie de l’euro, se sont rapi­de­ment enfer­més dans une spirale qui les amenait d’une conces­sion à une autre et à une dété­rio­ra­tion constante du rapport de force. Pendant que ces négo­cia­tions épui­santes se dérou­laient, les caisses de l’État grec se vidaient et le peuple se démo­bi­li­sait – réduit à un état de spec­ta­teur passif d’un théâtre loin­tain sur lequel il n’avait prise. Ainsi, quand Tsipras affirme le 13 juillet qu’il n’avait pas d’autre choix que de signer cet accord, il a en un sens raison. À condi­tion de préci­ser qu’il a fait en sorte de ne pas se retrou­ver avec d’autres choix possibles.
Il exis­tait un Plan B défendu dès avant la victoire élec­to­rale par le courant de gauche de Syriza.Puis le réfé­ren­dum.
Il faut préci­ser que le plan B ne se limite pas simple­ment à la reprise d’une souve­rai­neté moné­taire. Il met en avant l’in­ter­rup­tion du rembour­se­ment des créan­ciers, le place­ment des banques sous contrôle public et un contrôle de capi­taux au moment du déclen­che­ment de l’af­fron­te­ment. C’était, d’une façon géné­rale, prendre l’ini­tia­tive plutôt que d’être à la traîne de négo­cia­tions qui amenaient un recul après l’autre. Le gouver­ne­ment n’a même pas fait les gestes mini­maux afin d’être en mesure de tenir bon quand les Euro­péens appuyèrent sur le bouton nucléaire, c’est-à-dire en arrê­tant tota­le­ment l’ap­pro­vi­sion­ne­ment en liqui­dité avec l’an­nonce du réfé­ren­dum. Le réfé­ren­dum lui-même aurait pu être conçu comme le « volet poli­tique » du plan B : il a donné une idée d’un scéna­rio réaliste condui­sant à la rupture avec les créan­ciers et la zone euro. Le raison­ne­ment aurait pu être le suivant : Le mandat initial de Syriza, celui issu des urnes du 25 janvier, était de rompre avec l’aus­té­rité dans le cadre de l’euro ; nous avons bien vu que c’était impos­sible dans ce cadre ; donc nous nous présen­tons de nouveau devant le peuple ; le peuple confirme son mandat en disant « Non à l’aus­té­rité et faites le néces­saire ». C’est effec­ti­ve­ment ce qui s’est passé avec la victoire écra­sante du « non », lors du réfé­ren­dum du 5 juillet, mais il était déjà trop tard ! Les caisses étaient déjà vides et rien n’avait été fait pour prépa­rer une solu­tion alter­na­tive.
Certes , la popu­la­tion grecque reste majo­ri­tai­re­ment atta­chée à l’euro, actuel­le­ment.
Au niveau du « sens commun », la sortie de l’euro char­rie une sorte de tiers-mondi­sa­tion symbo­lique. Pour le Grec moyen qui résiste à l’idée d’une sortie de la zone euro, la justi­fi­ca­tion de son refus renvoie à la peur d’une régres­sion du pays au rang de nation pauvre et retar­da­taire – qui était effec­ti­ve­ment le sien il y a quelques décen­nies. N’ou­blions pas que la société grecque a évolué très rapi­de­ment et que le souve­nir de la misère et de la pauvreté est encore présent dans les couches popu­laires et dans les géné­ra­tions âgées.
L’Union euro­péenne, la zone euro, la sortie. De l’im­pos­si­bi­lité actuelle de jouer sur les contra­dic­tions internes au camp capi­ta­liste.
Tout d’abord, il s’agit de s’in­ter­ro­ger sur les contra­dic­tions internes à l’Union euro­péenne et, ensuite, de se deman­der que faire en dehors de ce cadre. Quant à la première, la stra­té­gie du gouver­ne­ment Tsipras consis­tait juste­ment à exploi­ter ses contra­dic­tions internes, réelles ou, surtout, suppo­sées. Ils pensaient pouvoir jouer sur l’axe Hollande-Renzi – vus comme des gouver­ne­ments plus « ouverts » à une approche anti-austé­rité –, Mario Draghi – vu égale­ment sur une ligne diver­gente de l’or­tho­doxie rigo­riste de Wolf­gang Schäuble [Ministre alle­mand des Finances] – et, enfin, sur le facteur améri­cain – perçu comme pouvant faire pres­sion sur le gouver­ne­ment alle­mand. Tout cela s’est révélé une illu­sion complète. Bien entendu, il ne s’agit pas de nier l’exis­tence de contra­dic­tions dans le bloc adverse : le FMI, par exemple, a une logique de fonc­tion­ne­ment et des prio­ri­tés en partie distinctes de celles de la Commis­sion euro­péenne. Ceci dit, toutes ces forces convergent sur un point fonda­men­tal : dès qu’une menace réelle émerge, et Syriza en était une car il remet­tait en cause l’aus­té­rité et le néoli­bé­ra­lisme, toutes ces forces ont fait bloc pour la détruire poli­tique­ment.
Tsipras dit que l’ac­cord va permettre une réné­go­cia­tion de la dette dans les 6 mois qui viennent. Kouva­le­kis le conteste.
C En signant cet accord, la Grèce est soumise à un carcan qui va bien au-delà de celui imposé par les mémo­ran­dums précé­dents. C’est un véri­table méca­nisme insti­tu­tion­na­lisé de mise sous tutelle du pays et de démem­bre­ment de sa souve­rai­neté. Il ne s’agit pas simple­ment d’une liste – comme les naïfs peuvent le croire – de mesures d’aus­té­rité très dures, mais de réformes struc­tu­relles qui remo­dèlent le cœur de l’ap­pa­reil d’État : le gouver­ne­ment grec perd en effet le contrôle des prin­ci­paux leviers de l’État. L’ap­pa­reil fiscal devient une insti­tu­tion dite « indé­pen­dante » ; elle se retrouve en fait dans les mains de la Troïka. Un conseil de poli­tique budgé­taire est mis en place, qui est habi­lité à opérer des coupes auto­ma­tiques sur le budget si le moindre écart est signalé par rapport aux objec­tifs en matière d’ex­cé­dents, fixés par les mémo­ran­dums. L’agence des statis­tiques devient elle aussi « indé­pen­dante » ; en réalité, elle devient un appa­reil de surveillance en temps réel des poli­tiques publiques direc­te­ment contrôlé par la Troïka. La tota­lité des biens publics consi­dé­rés comme priva­ti­sables sont placés sous le contrôle d’un orga­nisme piloté par la Troïka.
Privé de tout contrôle de sa poli­tique budgé­taire et moné­taire, le gouver­ne­ment grec, quelle que soit sa couleur, est désor­mais dépos­sédé de tout moyen d’agir. La seule chose qui reste sous contrôle de l’État grec est l’ap­pa­reil répres­sif. Et on voit bien qu’il commence à être utilisé comme avant, c’est-à-dire pour répri­mer des mobi­li­sa­tions sociales.
Un recul de la démo­cra­tie.
L’un des aspects les plus choquants des déve­lop­pe­ments qui font suite à la signa­ture de l’ac­cord est qu’on est revenu exac­te­ment à la situa­tion de 2010–2012, en matière de démo­cra­tie, ou plutôt de sa néga­tion ! À savoir que même les procé­dures formelles de la démo­cra­tie parle­men­taire – on voit d’ailleurs qu’elles ne sont pas que formelles au regard des efforts déployés pour les suppri­mer – ne sont pas respec­tées.
Les dépu­tés n’ont eu que quelques heures pour prendre connais­sance de pavés mons­trueux qui changent de fond en comble le code de procé­dure civile : 800 pages, qui faci­li­te­ront la saisie des maisons ou renforcent la posi­tion juri­dique des banques en cas de litige avec des emprun­teurs. En outre, on trouve dans ce même projet de loi la trans­po­si­tion d’une direc­tive euro­péenne sur l’in­té­gra­tion au système bancaire euro­péen, qui permet, en cas de faillite des banques, de pratiquer ce qu’on appelle un « bail-in », c’est-à-dire un prélè­ve­ment sur les dépôts bancaires pour renflouer les banques. Le cas chypriote se géné­ra­lise à l’échelle de l’Eu­rope. Tout cela a été voté le 22 juillet par les mêmes procé­dures d’ur­gence que Syriza n’avait cessé de dénon­cer durant toutes ces années, et qu’il est désor­mais obligé d’ac­cep­ter puisqu’il a capi­tulé devant les créan­ciers. Le mot « capi­tu­ler » est sans doute faible.
Pour la construc­tion d’une gauche du Non.
Mais l’es­sen­tiel est ailleurs. La gauche de Syriza, dans ses diverses expres­sions (même si la Plate­forme de gauche en consti­tue l’épine dorsale), se fixe à présent comme objec­tif la traduc­tion et la repré­sen­ta­tion poli­tique du peuple du « non » aux mémo­ran­dums et à l’aus­té­rité. La situa­tion nouvelle créée est que le bloc social, avec ses trois dimen­sions – de classe, de géné­ra­tion et natio­nal-popu­laire –, se retrouve désor­mais orphe­lin de repré­sen­ta­tion poli­tique. C’est à cette construc­tion poli­tique qu’il faut main­te­nant s’at­te­ler. Il s’agit de rassem­bler, de façon très large, des forces poli­tiques à l’in­té­rieur et l’ex­té­rieur de Syriza.

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