« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »
Cette phrase assez souvent citée d’Helder Camara, évêque brésilien, artisan de la « théologie de la libération », s’applique très bien à la situation française actuelle et singulièrement à ce qui se passe dans de très nombreux lycées.
« Ce n’est pas un hasard si les blocages d’établissement affectent d’abord les banlieues et les quartiers avant de s’étendre
La première violence à laquelle nos élèves sont confrontés est celle du milieu dans lequel ils et elles vivent. Ce n’est pas un hasard si les blocages d’établissement affectent d’abord les banlieues et les quartiers avant de s’étendre. La violence c’est celle de leur quotidien, suspectés parce que jeunes, parce que noirs ou basanés, parce que socialement abandonnés. Dans bien des banlieues, la principale institution qui crée encore du lien social est l’école. Mais là encore, la violence est de plus en plus présente : élèves parqués dans des classes à fort effectif, en grande difficulté scolaire et à qui on ne donne aucun moyen pour pallier ces difficultés : manque de profs, de personnels, surtout de conseillers d’orientation-psychologues (actuellement psychologues de l’Education nationale), pour les aider, les guider dans leurs choix.
Aujourd’hui, on impose à ces élèves des parcours de sélection de plus en plus brutaux : Parcoursup qui enlève tout droit à l’erreur et rejette une partie de la jeunesse, en particulier des établissements de banlieue, et demain un baccalauréat s’appuyant sur la multiplication d’épreuves locales et un contrôle continu plus important. Plus que jamais, le bac de Vitry ne vaudra pas celui de Saint-Louis.
Face à cela, et dans le contexte de la mobilisation des Gilets jaunes, les jeunes ont commencé à bloquer leur lycée. Ils sont désorganisés, souvent confus… mais comment ne le seraient-ils pas alors que depuis les grandes luttes contre le CPE il y a douze ans, les gouvernements successifs ont tout fait pour détruire leurs organisations syndicales, comme ils l’ont fait pour les organisations de travailleurs, en refusant toute négociation, en imposant par la force ce qu’ils appellent des « réformes » et qui ne sont que la destruction des protections collectives dont la France s’est dotée depuis 1945.
Les jeunes cassent peut-être quelques vitrines, mettent le feu à quelques poubelles, mais ce ne sont pas eux qui mettent véritablement en danger les manifestants.
« La répression est aveugle. Elle est brutale. Nous avons vu nos élèves subir une grande agressivité de la part de la police »
La répression, cette troisième violence, est aveugle. Elle est brutale. Nous avons vu nos élèves subir une grande agressivité de la part de la police. Une violence qui s’est exprimée dans toutes ses nuances. Des tirs de flash-ball, qui ont causé plusieurs blessures graves.. Des interpellations massives. Des grenades lacrymogènes. Et même la police montée. Cette violence ce sont aussi les bousculades, les insultes et les postures provocatrices que les jeunes ont eu à subir. Cette violence insupportable c’est de mettre des élèves à genoux, les mains sur la tête et d’en plaisanter. Comment douter que cette violence n’allait pas apaiser ? Comment douter qu’elle n’avait pour but que de réprimer l’expression de la jeunesse ? Cette violence, nous ne l’accepterons jamais.
Le ministre de l’Education nationale s’adresse maintenant à nous en appelant à notre responsabilité : « Dans ces circonstances, j’en appelle à la responsabilité de chacun et à un discours de sérénité adressé aux élèves. » Il se souvient tout à coup qu’il existe des conseillers principaux d’éducation, certes en nombre dramatiquement insuffisant et les assure de son soutien : « Je sais que vous êtes particulièrement mobilisés pour assurer la sécurité des établissements scolaires et que vous êtes parfois vous-mêmes confrontés à la violence. Je tiens à vous assurer de mon profond soutien et de ma gratitude. » A notre tour de nous adresser à vous, Monsieur le ministre : retenez vos CRS, arrêtez de taper aveuglément avant que l’irréparable soit commis, écoutez véritablement la colère des jeunes dans l’avenir desquels vous prétendez faire confiance. Donnez l’ordre à vos chefs d’établissements de permettre aux élèves de trouver, dans les lycées, des espaces de débat, sans qu’ils ou elles soient réprimés. Retirez la réforme du lycée et du bac, revenez sur les modalités d’inscriptions dans le supérieur. Donnez les moyens à l’Education et ouvrez de véritables discussions, y compris avec les élèves, pour une vraie réforme permettant la réussite de toutes et tous.
Vous avez la responsabilité de ce qui va se passer aujourd’hui et dans l’avenir en France !
Elisabeth Hervouet, professeure, lycée Van Dongen, Lagny-sur-Marne, Seine-et-Marne
Jérémie Verger, professeur, lycée Jean-Zay, Aulnay-sous-Bois, Seine-Saint-Denis
Sandrine Bourret, professeure, lycée Jean-Macé, Vitry-sur-Seine, Val-de-Marne