Voici quelques extraits d’un article de ce jour publié sur Mediapart, signé Michel Deléan : « Bavure mortelle : la justice esquive depuis dix ans ». On y parle d’un policier qui tire sur un homme désarmé, on y parle d’une justice qui ne fait pas son travail. L’affaire n’est pas terminée. Cela se passait à Poitiers, ce n’est pas fini.
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« La clémence dont font le plus souvent preuve les magistrats envers les policiers et les gendarmes, lorsqu’il s’agit de les poursuivre ou de les juger, est connue et documentée. (…)
S’il est une affaire qui illustre cette grande difficulté, pour la justice, à traiter les bavures policières de façon juste, impartiale et efficace, c’est bien l’affaire Massonnaud. À Poitiers, pendant sept ans, plusieurs magistrats se sont succédé pour placer sous l’éteignoir les circonstances de la mort d’Olivier Massonnaud, un père de famille tué d’une balle dans le ventre par un policier, en août 2007. Le dossier a fini par changer de juridiction, a fait l’objet de décisions contradictoires et est toujours en suspens.
Après une série de non-lieux et de rebondissements procéduraux, le fonctionnaire auteur du coup de feu a finalement été renvoyé devant la cour d’assises pour « coups mortels », sur décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux, le 8 août dernier. Mais le policier a aussitôt formé un pourvoi en cassation pour échapper au procès.
Compte tenu des délais habituels, la chambre criminelle de la Cour de cassation devrait rendre sa décision dans six à huit mois. Si elle confirme le renvoi du policier aux assises, un éventuel procès ne pourra pas se tenir avant 2019. »
(…) « La famille Massonnaud, qui estime que la justice a mal traité le dossier depuis le début, a elle aussi déposé un pourvoi en cassation afin obtenir un procès pour « homicide volontaire », une qualification pénale plus grave que celle de « coups mortels » et qui suppose qu’il y a eu intention de tuer. Médecin à la retraite, François Massonnaud dit avoir toujours été « très respectueux des institutions », mais il assure aujourd’hui avoir « un souverain mépris pour cette justice qui, dans cette affaire, s’est montrée connivente avec la police ». »
(…)
« Curieusement, alors qu’un homme désarmé est mort et qu’aucun policier n’a été blessé, le parquet de Poitiers ouvre, le 14 août, une enquête préliminaire contre feu Olivier Massonnaud pour « violences volontaires et tentatives d’homicide volontaire sur agents de la force publique ». C’est dans ce cadre procédural que les policiers présents sur place sont interrogés le jour même par leurs collègues de la PJ de Poitiers et participent à une « reconstitution express » dans la courette où s’est déroulé le drame. Les dépositions sont ainsi figées dans la procédure.
Il faudra que la famille Massonnaud porte plainte avec constitution de partie civile, le 16 août, pour qu’une information judiciaire soit ouverte le lendemain. Elle vise le policier auteur du coup de feu, pour des faits qualifiés de « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l’autorité publique et avec usage d’une arme ». L’espoir, pour la famille, sera toutefois de courte durée. »
(…)
Le brigadier-chef Chauveau ne sera jamais mis en examen par les trois juges d’instruction (Valérie Tavernier, Jérôme Laurent et Delphine Roudière) qui se relayent sur cette affaire pendant six longues années, de 2007 à 2013. Pour finir, une ordonnance de non-lieu est rendue le 7 février 2013, conformément aux réquisitions du parquet de Poitiers, la juge d’instruction estimant que le policier avait agi en état de légitime défense et en respectant les procédures.
La famille Massonnaud fait appel de cette décision. Mais la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Poitiers confirme le non-lieu en 2014. Et ce n’est qu’en septembre 2015, huit ans après les faits, que la Cour de cassation relance le dossier : « En retenant l’état de légitime défense tout en énonçant, par des motifs contradictoires, que les moyens de défense de M. Chauveau étaient, au regard des constatations faites sur place, disproportionnés à la gravité de l’atteinte portée par M. Massonnaud à M. Ferrari, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision », écrit la Cour de cassation. La juridiction de Poitiers est dessaisie du dossier au profit de la cour d’appel de Bordeaux.
« Le dossier regorge d’éléments qui ont été ignorés par les magistrats de Poitiers. Plusieurs témoignages de voisins font état d’une grande nervosité des policiers, dont certains auraient insulté ou provoqué Olivier Massonnaud, au lieu d’essayer de le calmer. Aucune prise de sang n’a été effectuée sur le brigadier-chef auteur du coup de feu. Juste avant le tir mortel, le robuste agent Ferrari (1,85 mètre pour 100 kilos) avait porté un coup de lampe torche sur l’avant-bras d’Olivier Massonnaud (1,72 mètre pour 70 kilos), déjà affaibli par ses blessures, qui s’avançait vers lui mains en l’air. » (…) « La cour était éclairée et les policiers au nombre de quatre. »(…)
« En dernière analyse, pour les magistrats bordelais, le tir du brigadier-chef ne paraît pas être un moyen proportionnel à la menace, mais excessif. La chambre de l’instruction le renvoie donc devant les assises de la Gironde pour coups mortels (violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner avec usage d’une arme et par personne dépositaire de l’autorité publique). Une décision qui est maintenant soumise à l’examen de la Cour de cassation. » (…)