Depuis maintenant une semaine, la situation s’enflamme en Guadeloupe à la suite d’une grève des soignants contre l’obligation vaccinale. D’où provient cette colère politique, et comment l’apaiser ? Nous en parlons ce matin avec nos invités.
Le 15 novembre, des soignants guadeloupéens réunis dans une intersyndicale ont lancé un mouvement de grève pour protester contre l’obligation vaccinale. Ce qui se présentait au départ comme l’expression d’un mécontentement face à la politique sanitaire de l’Etat métropolitain est rapidement devenu un tremplin pour une contestation beaucoup plus large, rassemblant différents motifs de colère de la population locale.
La grande violence des actions conduites rappelle aux observateurs les émeutes de 2009. Elle traduit une nouvelle fois le sentiment d’incompréhension qu’éprouvent de nombreux Guadeloupéens face à leur traitement. D’où provient cette insatisfaction ? Quelles sont les décisions politiques qui, sur le long terme et plus récemment depuis le début de la crise sanitaire, ont conduit à cette situation de mécontentement et de colère ? Ce sont les questions que nous aborderons avec nos invités :
- Stéphanie Mulot, professeure de sociologie à l’Université de Toulouse-Jean-Jaurès, membre du CERTOP chercheuse associée au laboratoire caribéen de sciences sociales. Elle a récemment signé, pour AOC, un article conséquent intitulé « Sur le refus de la vaccination contre le Covid-19 en Guadeloupe ».
- Pierre Odin, politiste, enseignant à l’Université des Antilles (Guadeloupe), auteur de Pwofitasyon. Luttes syndicales et anticolonialisme en Guadeloupe et en Martinique (La Découverte, 2019).
Etat des lieux depuis la Guadeloupe
Pierre Odin est en direct depuis la Guadeloupe, où il nous décrit l’état actuel de la situation.
La situation est complexe à décrire en quelques mots. Pour l’instant, on a l’impression que l’île vit au rythme des blocages routiers qui se sont installés depuis une semaine. Des images de barrages, de zones bloquées arrivent par les réseaux sociaux. Des incendies ont lieu tous les jours. Pierre Odin
La situation s’apaise-t-elle ou y a-t-il toujours le même degré de violence ?
Cela dépend des endroits, et des moments de la journée. On a peut-être eu la sensation d’un relâchement des barrages en fin de semaine. En même temps, les déclarations des responsables syndicaux ne vont pas dans ce sens récemment, et les annonces de Gérald Darmanin sur l’envoi de troupes ont reçu un accueil très hostile, ce qui va peut-être contribuer à tendre la situation. Pierre Odin
S’agit-il d’un mouvement global, a-t-on affaire à des minorités actives, ou y a-t-il un soutien important dans la population ?
Ce que je vais raconter aujourd’hui n’est pas proprement de l’analyse sociologique. On est dans un temps très confus, où il faut penser entre de nombreux discours, de prises de position contradictoires, avec une inquiétude quant à la situation, et donc le seul geste sociologique que je puisse faire, c’est remettre l’ouvrage sur le métier, et essayer de repenser un certain nombre de choses sur la situation. Pierre Odin
Pour l’instant, il est dur de dire si le mouvement est populaire. On a l’impression d’un mouvement syndical qui au départ était sur une ligne assez sectorielle et minoritaire, qui capitalise sur une opposition forte au pass sanitaire, sans pouvoir dire s’il y a un sentiment d’adhésion aussi fort qu’en 2009, car à cela se superpose beaucoup de questions sur le mouvement. Pierre Odin
De la crise sanitaire à la crise politique
Stéphanie Mulot, qui a beaucoup étudié le rapport des Guadeloupéens au coronavirus et aux vaccins, insiste pour sa part sur l’enracinement de la situation actuelle dans la contestation de la politique sanitaire.
Il me paraît intéressant de rappeler que le mouvement a repris de la vigueur avec la crise sanitaire. Le point de départ, c’est quand même une contestation de la gestion politique de l’épidémie. L’année dernière, LKP avait mené une forme de judiciarisation en portant plainte contre l’ARS, en demandant la mise à disposition d’hydroxychloroquine depuis avril 2020. Il s’agit de dénoncer une gestion très verticale de l’épidémie par le gouvernement, c’est-à-dire le fait que les décisions ont été prises sans s’appuyer sur l’expertise des professionnels de santé ou sur les demandes des profanes. L’énorme vague d’août 2021 a été une hécatombe en Guadeloupe, et l’obligation vaccinale est arrivée en même temps.
Il y a un cumul et une superposition de faits qui ont amené à une mobilisation. En ce moment, on se demande quel est l’objet de la manifestation, qui change au fil des jours. Car s’agissant de l’obligation vaccinale, 85% des soignants sont vaccinés. Donc c’est autre chose qui se superpose au conflit. Stéphanie Mulot
La sociologue montre comment la contestation sanitaire s’enracine dans le sentiment d’une identité guadeloupéenne.
La raison sanitaire est parfois remplacée par une rhétorique de résistance aux injonctions nationales. Cette notion de résistance est souvent utilisée en Guadeloupe pour caractériser une forme d’identité guadeloupéenne. Elle est construite comme un héritage du marronage, des résistances à l’esclavage. Stéphanie Mulot