Code du travail : séances d’hyp­nose en Macro­nie

Voici des extraits de l’ar­ticle de notre cama­rade d’ Ile de France, JC Mamet, paru sur le site natio­nal d’En­semble!

https://www.ensemble-fdg.org/content/code-du-travail-seances-dhyp­nose-en-macro­nie

 

Ce qui se prépare dès à présent avec accé­lé­ra­tion pendant juillet -août et vote en septembre, c’est « une loi El Khomri à la puis­sance 10, mais avec un 49–3 soft. »(…)

« (…)Il est évident que selon la manière dont ces concer­ta­tions seront conduites, et selon l’at­ti­tude syndi­cale face à cette entre­prise d’hyp­nose, la marge de manœuvre du gouver­ne­ment ne sera pas la même, et la puis­sance d’agir du syndi­ca­lisme non plus. Il y a une bataille de commu­ni­ca­tion qui se joue devant l’opi­nion publique en situa­tion élec­to­rale : comment s’y prendre face à quelqu’un qui prétend (ou fait semblant de) vous écou­ter ? Le premier problème est sans doute de bien défi­nir le sens des mots et leur contenu. Pourquoi des ordon­nances dans l’ur­gence ? Pourquoi négo­cier dans les entre­prises ? Qu’est-ce que la hiérar­chie des normes ? Etc.

 

Ordon­nances : vraie urgence ou procé­dure « monar­chique » ?
Très peu de syndi­cats ou de partis d’op­po­si­tion font campagne contre la procé­dure des ordon­nances comme une vraie bataille poli­tique. Elle est pour­tant une insulte à la démo­cra­tie et aux élec­tions en cours.

(…)En réalité, l’ur­gence est celle de patrons qui veulent licen­cier sans entrave, quitte à payer une amende prédé­fi­nie : un barème des indem­ni­tés (« dommages et inté­rêts ») en cas de licen­cie­ment sans cause réelle et sérieuse. Le licen­cie­ment devient ainsi un évène­ment banal, prévi­sible, entre deux co-contrac­tants en litige. Cela pour rassu­rer certains petits patrons qui se plaignent de ne pas pouvoir embau­cher, parce qu’ils ont telle­ment peur de ne pas pouvoir licen­cier !

Il n’est donc pas éton­nant que dans les cartons minis­té­riels révé­lés par Libé­ra­tion le 6 juin, des plans secrets visent aussi à briser la stabi­lité du CDI, faci­li­ter encore plus l’ac­cès au CDD, ou élever les seuils de déclen­che­ment d’un Plan de sauve­garde de l’em­ploi ou PSE (actuel­le­ment fixé à au moins 10 sala­riés pour les entre­prises de moins de 50). Plus géné­ra­le­ment, pour le MEDEF et les libé­raux en géné­ral, il s’agit bien de sortir du carcan de la loi et d’in­di­vi­dua­li­ser au maxi­mum les rapports sociaux.

Il n’y a donc aucune autre urgence que poli­tique : plaire au patro­nat et à la droite. La déma­go­gie sur les « aspi­ra­tions des sala­riés », sur « la libé­ra­tion des éner­gies », la « protec­tion des personnes » (extraits du docu­ment remis aux syndi­cats), prête­raient à sourire si la situa­tion n’était pas grave pour les droits collec­tifs.

(…)Bref, avec Macron, c’est bien la monar­chie éclai­rée de la 5ème Répu­blique qui revient encore plus, et d’ailleurs les ordon­nances en sont l’em­blème histo­rique. On ne gouverne pas vrai­ment avec le parle­ment dans un système de pouvoir « jupi­té­rien ».

 

Négo­cier ou déro­ger ?
(…)Il s’agit de suspendre une pres­crip­tion ayant force de loi (les conven­tions de branche) pour déci­der une mesure moins avan­ta­geuse, sous prétexte de faci­li­ter la marche des entre­prises.  Si on fait le total depuis 1982, il y a eu telle­ment de mesures déro­ga­toires auto­ri­sées que le Code du travail s’est enflé en poids et en illi­si­bi­lité. Et la situa­tion géné­rale du sala­riat est globa­le­ment allée en régres­sant (durées du travail allon­gées, licen­cie­ments faci­li­tés dans la loi de 2013, etc.). Or dans un contexte de droits en régres­sion, il devient possible qu’on puisse négo­cier des avan­tages partiels pour telle ou telle caté­go­rie, ou des compen­sa­tions, en échange d’un recul géné­ral.(…)

Le mot de déro­ga­tion est donc écarté du voca­bu­laire Macron, car il sonne mal. On préfère parler de « libé­rer les éner­gies indi­vi­duelles », et même de « trou­ver un sens au travail ». Comment ? Le texte est clair sur un point : « L’en­tre­prise est le lieu de la créa­tion de la norme sociale ». « Créa­tion de la norme » : l’en­tre­prise est donc bien la source du droit.  Quant à la branche, elle doit « régu­ler les condi­tions de la concur­rence ». Autre­ment dit, il faudra harmo­ni­ser ce qui sera créé au niveau de l’en­tre­prise. (…) A moins que…l’ordre public soit réduit à la portion congrue, comme les révé­la­tions du Pari­sien le 5 juin le mettait en lumière (mise en cause du CDI, donc aussi du contrat de travail, etc.).

La ministre du Travail Muriel Péni­caud, invi­tée sur France inter le 6 juin, n’a pas arrêté de s’ex­cla­mer : « pourquoi ne pas faire confiance à ceux qui négo­cient ? Pourquoi déci­der à leur place ce qui est bon pour les sala­rié-es ? » On a envie de lui répondre très simple­ment : pourquoi voulez-vous depuis le sommet du gouver­ne­ment détri­co­ter l’an­cien ordre public social, qui permet­tait aux syndi­cats sur le terrain de « négo­cier » en effet des avan­tages supé­rieurs à ceux de la loi ou de la conven­tion de branche ?(…)

Il serait facile de géné­ra­li­ser le propos et les exemples. « On vaut mieux que cela » disait une vidéo célèbre de jeunes qui en 2016 ont joué un rôle déclen­cheur dans le mouve­ment contre la loi Travail.

 

Comment reprendre l’of­fen­sive ?
Il ne sera pas facile de déjouer faci­le­ment les pièges hypno­tiques de la macro­nie. Contrai­re­ment à la bruta­lité clas­sique de la vieille droite et du libé­ra­lisme sans fard, il fait semblant d’écou­ter et il béné­fi­cie d’une appa­rente hégé­mo­nie dans la conduite des affaires publiques, neutra­li­sant tout le monde sur son passage. Il faudra donc mener une lutte de contre-hégé­mo­nie, et resti­tuer du sens.

(…)Le plus inquié­tant, c’est pour le moment l’ab­sence totale d’un front commun, alors qu’a­vait existé pendant plus de six mois une inter­syn­di­cale large contre la loi Travail.  Nous vivons une conjonc­ture de frag­men­ta­tion multiple, poli­tique et syndi­cale, où chacun pense sauver son pré-carré.

Le syndi­ca­lisme pour­rait payer cher son absen­téisme des enjeux poli­tiques de la prési­den­tielle. Après septembre 2016, l’in­ter­syn­di­cale CGT, FO, FSU, Soli­daires, UNEF, UNL, FIDL s’est décons­truite, FO partant la première. Mais un accord s’était établi sur une propo­si­tion FSU de mettre en avant une plate-forme commune sur le droit du travail (inti­tu­lée « C’est quoi ce travail  » :), permet­tant une campagne d’in­ter­pel­la­tion des « poli­tiques » enga­gés dans la prési­den­tielle. La plate-forme a été écrite, mais quasi­ment mise sous le bois­seau, elle n’a servi à rien. (…) Le réseau syndi­cal Front social (struc­tures de la CGT, de Soli­daires, de la FSU, des asso­cia­tions) occupe acti­ve­ment une place vacante, mais n’évite pas le secta­risme autour de la radi­ca­lité. (…)

Le résul­tat géné­ral, c’est que la poli­tique lais­sée de côté revient par la grande porte : une prési­dence omni présente et acti­viste. Comme cela s’était produit au lende­main de l’élec­tion de Sarkozy en 2007, le syndi­ca­lisme hésite à lui contes­ter sa légi­ti­mité, comme si l’élec­tion poli­tique englo­bait à elle seule la tota­lité sociale. Disons-le avec force : le mouve­ment social, le mouve­ment citoyen, ont leur propre rythme, leurs règles démo­cra­tiques, et leur propre légi­ti­mité.

(…)Sur propo­si­tion d’En­semble, une décla­ra­tion commune contre la préten­tion à gouver­ner par ordon­nances pour briser le droit du travail a été rendue publique le lundi 5 juin (voir le site d’En­semble et de Poli­tis), asso­ciant des porte-paroles de EELV, Ensemble, Gauche démo­cra­tique et sociale, élus hamo­nistes, Nouvelle Donne, NPA, PCF, PG, RS. Un arc de forces jamais vu depuis long­temps. Mais il convien­drait d’al­ler plus loin qu’une décla­ra­tion symbo­lique, et de contri­buer à briser le consen­sus mou autour du nouveau pouvoir.

Le collec­tif Front social prépare depuis plusieurs semaines une mani­fes­ta­tion dès le lundi 19 juin, notam­ment contre la casse du droit du travail. En Ile de France, est en train de se recons­ti­tuer une inter­syn­di­cale large (CGT, FO, FSU, Soli­daires et orga­ni­sa­tions de jeunesses) pour le mardi 27 juin, jour d’ou­ver­ture de l’As­sem­blée natio­nale. Le Collec­tif Le Code Qu’il Faut Cons­truire (CQFD), consti­tué au moment de la loi Travail, se réunit à nouveau le 20 juin ; il réunit syndi­cats, asso­cia­tions, partis poli­tiques. Les univer­si­taires du Groupe de recherche pour un autre Code du travail (GR-PACT) qui a proposé au prin­temps 2017 une réécri­ture complète du Code du travail, en lien avec les syndi­cats, peut jouer un rôle impor­tant dans la confron­ta­tion entre la régres­sion Macron et une vraie sécu­rité des droits créa­trice d’au­to­no­mie pour la jeunesse, les sala­riés-es, les personnes sous statut d’in­dé­pen­dants mais réel­le­ment « dépen­dantes » de donneurs d’ordre écono­miques (par le biais tech­nique du numé­rique).

Le défi est que toutes ces initia­tives coopèrent, se parlent, conjuguent leurs modes d’ac­tion, et acceptent de s’en­ga­ger dans une contes­ta­tion dyna­mique pour résis­ter aux sirènes du macro­nisme et de son monde.

 

 

Jean-Claude Mamet, 9 juin 2017

 

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