Inpre­cor (IVeme inter­na­tio­nale). La Syrie. Soutien au peuple syrien.

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26 décembre

« Il y beau­coup d’es­poirs et de nombreux défis à saisir dans la situa­tion »

par Joseph Daher
Des habi­tants se rassemblent à Menbij, dans le nord de la Syrie, pour célé­brer la chute du gouver­ne­ment syrien, le 8 décembre 2024. Ugur Yildi­rim AP

 

Les scènes de joie ont envahi la Syrie, après 54 ans de dicta­ture de la dynas­tie Assad. Cette situa­tion ouvre néces­sai­re­ment une nouvelle ère, même si les dangers restent immenses.

J’ima­gine que la situa­tion actuelle repré­sente un soula­ge­ment. Est-ce que tu peux nous expliquer comment la chute d’As­sad a pu être aussi rapide ?

Il s’agit sans aucun doute d’un moment histo­rique pour les Syriennes et les Syriens. Et pour les classes popu­laires de la région. Il faut se rappe­ler que Assad a bien sûr opprimé son peuple, mais que le régime syrien a égale­ment occupé le Liban, a tué et empri­sonné de nombreux Pales­ti­nien·nes, sans oublier ses attaques sur le mouve­ment natio­nal pales­ti­nien en tant que tel. Donc c’est un moment histo­rique. D’ailleurs, les scènes de joie à travers la Syrie, de la côte aux régions à majo­rité kurdes, à Damas, à Alep, de toutes les ethni­ci­tés et confes­sions, le montrent.

Les choses ont commencé avec une offen­sive mili­taire menée à partir du 27 novembre, par Hayat Tahrir al-Cham (Orga­ni­sa­tion de libé­ra­tion du Levant, HTS), une orga­ni­sa­tion sala­fiste jiha­diste, et l’Ar­mée natio­nale syrienne, qui agit comme un proxy de la Turquie. Cette offen­sive a conduit à la libé­ra­tion d’Alep, Hamah, Homs, où le régime a disparu. Cela a ensuite créé une autre dyna­mique, notam­ment dans les régions du Sud de la Syrie, où des groupes d’op­po­si­tion armés, notam­ment, et la popu­la­tion plus géné­ra­le­ment, loca­le­ment, ont mis dehors les forces du régime.

Les forces du régime ont dû se reti­rer progres­si­ve­ment et, dans la nuit du 7 au 8 décembre, a eu lieu la chute du régime. On a pu voir dans les deux derniers jours un soulè­ve­ment popu­laire un peu partout, à chaque fois que le régime se reti­rait : les gens sortaient dans les rues pour s’at­taquer aux symboles du régime Assad, ses portraits, ses statues. Et d’ailleurs, les scènes de joie, tous ces gens qu’on voit sortir, ne sont pas, dans leur grande majo­rité, contrô­lés par les groupes armés.

condi­tions et, pour la grande majo­rité, était conscrits de force.Il y a donc deux dyna­miques prin­ci­pales pour expliquer la chute de la dynas­tie Assad, qui était au pouvoir depuis 1970, donc 54 ans. Le premier est la faiblesse struc­tu­relle poli­tique, mili­taire et écono­mique du régime. Il ne dispo­sait même plus d’une base popu­laire mini­mum, les soldats n’avaient aucune envie de se battre pour un régime qui les trai­tait mal : ils étaient mal payés, exerçaient dans de mauvaises condi­tions

Le deuxième élément, peut-être le plus impor­tant, est la faiblesse des alliés prin­ci­paux du régime, qui étaient le facteur prin­ci­pal ayant permis au régime de tenir jusqu’à aujourd’­hui : la Russie et l’Iran, avec ses affi­liés, notam­ment du Hezbol­lah, et d’autres milices. La Russie, qui est impliquée depuis 2022 dans une guerre impé­ria­liste contre l’Ukraine, y avait trans­féré une partie de ses forces et ressources, notam­ment aériennes. Elle n’a donc pas eu l’im­pli­ca­tion qu’elle avait pu avoir dans le passé.

L’Iran et le Hezbol­lah sont forte­ment affai­blis par la guerre israé­lienne contre le Liban, et par les bombar­de­ments répé­tés contre leurs posi­tions en Syrie, parti­cu­liè­re­ment accé­lé­rés depuis cette dernière année. Donc les alliés du régime, qui trai­taient comme d’ha­bi­tude tous les oppo­sants et indi­vi­dus qui sortaient dans la rue comme des terro­ristes, étaient extrê­me­ment affai­blis, et n’ont pas pu s’im­pliquer autant qu’ils le voulaient pour sauver ce régime.

Quelles sont les forces de la rébel­lion, et comment semble s’ins­tal­ler le nouveau régime ?

On est dans une phase de tran­si­tion. Après la chute du régime, le chef du HTS, al-Jolani, a initia­le­ment échangé avec l’ex-Premier ministre Moham­med al-Jalali pour coor­don­ner la tran­si­tion du pouvoir, avant de nommer Moham­mad al-Bachir chef du gouver­ne­ment tran­si­toire chargé d’ex­pé­dier les affaires courantes. Al-Bachir diri­geait jusqu’à présent le GSS, le Gouver­ne­ment de salut syrien, qui gérait la province d’Id­lib, contrô­lée par HTS. Il assu­rera ses fonc­tions jusqu’au 1er mars 2025 et dans l’at­tente du lance­ment du proces­sus consti­tu­tion­nel. Le reste des ministres sont aussi des hommes affi­liés à HTS depuis 2017.

Ces éléments indiquent clai­re­ment que HTS souhaite procé­der à une tran­si­tion contrô­lée du pouvoir, de préfé­rence en conso­li­dant son pouvoir sur de larges zones du terri­toire, tout en cher­chant à apai­ser les craintes étran­gères, à établir des contacts avec les puis­sances régio­nales et inter­na­tio­nales et d’être reconnu comme une force légi­time avec laquelle il est possible de négo­cier.

HTS est, à bien des égards, une orga­ni­sa­tion de nature sala­fiste djiha­diste, mais qui a connu une évolu­tion durant ces dernières années : elle a rompu avec Al-Qaïda à partir de 2016. Elle s’ins­crit dans un projet natio­nal, syrien, donc pas dans un cadre trans­na­tio­nal. Elle a géré une partie du nord-ouest syrien de manière assez tech­no­cra­tique, avec un gouver­ne­ment qui orga­ni­sait des services – même si les ONG et les Orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales jouaient aussi un rôle très impor­tant – et a essayé de gagner en légi­ti­mité et en respec­ta­bi­lité ces dernières années auprès des acteurs locaux et surtout régio­naux et inter­na­tio­naux.

(…)

Cela dit, il ne faut pas non plus roman­ti­ser cette orga­ni­sa­tion, il ne s’agit pas d’une orga­ni­sa­tion démo­cra­tique, loin de là, c’est une orga­ni­sa­tion réac­tion­naire, auto­ri­taire. Encore jusqu’à récem­ment à Idlib, il y avait des mani­fes­ta­tions popu­laires pour dénon­cer sa gouver­nance, sa pratique de la torture et les viola­tions des droits humains. Tolé­rer les mino­ri­tés reli­gieuses ou ethniques et leur permettre de prier ne suffit pas. Le point clé, c’est de recon­naître leurs droits en tant que citoyen·nes égaux parti­ci­pant à la prise de déci­sion sur l’ave­nir du pays.

(…)Il ne devrait y avoir aucune confiance dans ce groupe.

Un autre élément d’inquié­tude est la poli­tique écono­mique de HTS. En effet ce dernier n’a pas d’al­ter­na­tive au système écono­mique néoli­bé­ral, très proba­ble­ment avec des réseaux d’af­faires rassem­blant des person­na­li­tés d’af­faires nouvelles et anciennes, égale­ment connec­tées aux nouveaux diri­geants, simi­laires aux dyna­miques et formes de capi­ta­lisme de copi­nage du précé­dent régime. Le nouveau gouver­ne­ment syrien a par exemple déclaré, par l’in­ter­mé­diaire de Bassel Hamwi, président de la Chambre de commerce de Damas, aux chefs d’en­tre­prise qui se réunis­saient avec lui, qu’il adop­te­rait un modèle de libre marché et inté­gre­rait le pays dans l’éco­no­mie mondiale. Hamwi a été « élu » à ce poste en novembre 2024, quelques semaines avant la chute de la dynas­tie Assad. Il est égale­ment le président de la Fédé­ra­tion des Chambres de commerce syriennes. Des membres de l’an­cien régime occupent toujours des postes impor­tants. Ce système néoli­bé­ral écono­mique mêlé d’au­to­ri­ta­risme entraî­nera des inéga­li­tés socio-écono­miques et un appau­vris­se­ment continu de la popu­la­tion syrienne, qui ont été l’une des prin­ci­pales causes du soulè­ve­ment popu­laire initial.

De même, l’Ar­mée natio­nale syrienne est aussi un groupe armé perçu par beau­coup de Syriens et Syriennes comme des groupes de voyous, qui ont été accu­sés de corrup­tion, de viola­tion des droits humains et elle agit véri­ta­ble­ment comme un proxy de la Turquie. Au côté de l’ar­mée turque, elle a joué un rôle destruc­teur lors de l’oc­cu­pa­tion d’Afrin en 2018, qui a mené à un chan­ge­ment démo­gra­phique avec le départ forcé de plus de 150 000 personnes, dont une grande majo­rité de Kurdes. D’ailleurs, on a pu voir, après le début de l’of­fen­sive, qu’elle a mené des offen­sives contre des villes ou des régions en majo­rité kurdes, en captu­rant la ville de Tal Rifaat et la région de Shahba dans le nord d’Alep, aupa­ra­vant sous la gouver­nance des FDS, entraî­nant le dépla­ce­ment forcé de plus de 150 000 civil·es et de nombreuses viola­tions des droits humains contre les Kurdes, notam­ment des assas­si­nats et des enlè­ve­ments. L’ANS a ensuite pris le contrôle, avec le soutien de l’ar­mée turque, de la ville de Menbij, contrô­lée par les Forces démo­cra­tiques syriennes (FDS). Donc on voit qu’ils servent l’agenda du régime turc, qui est de mettre fin au gouver­ne­ment auto­nome du Nord-Est de la Syrie, dominé par le PYD, parti frère du PKK, consi­déré comme une orga­ni­sa­tion terro­riste en Turquie. Ils refusent toute forme d’au­to­no­mie de la popu­la­tion kurde.

Les groupes d’op­po­si­tion armée du sud ont aussi joué un rôle dans la prise de Damas, notam­ment ceux de la région de Deraa. Il s’agit d’an­ciens de l’Ar­mée syrienne libre qui avaient accepté des accords de récon­ci­lia­tion avec le régime. Dans la ville de Souweïda, ce sont plus des orga­ni­sa­tions locales, issues de la popu­la­tion druze, notam­ment le groupe armé des Hommes de la dignité.

Voilà la carto­gra­phie géné­rale des groupes armés qui ont joué un rôle dans ces dix derniers jours.

 

Quels sont les dangers et, peut-être encore plus, les points d’ap­pui dans la situa­tion ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour aider les forces kurdes ou d’autres forces démo­cra­tiques et sociales en Syrie ?

Il ne faut ni roman­ti­ser la situa­tion, ni tomber dans une forme de défai­tisme selon lequel il n’y aurait pas de possi­bi­lité à saisir dans la situa­tion. Comme le dit un des slogans syriens, il n’y a pas d’éter­nité – expres­sion qui était oppo­sée à un slogan du régime disant qu’il allait rester pour l’éter­nité. Dans cette situa­tion d’es­poir, il y a beau­coup de défis, on ne va pas se le cacher, mais il y a une option à saisir, cette oppor­tu­nité d’es­pace contra­dic­toire qui existe aujourd’­hui : le fait qu’au­cune force armée ne peut tota­le­ment contrô­ler les régions qui étaient précé­dem­ment sous le contrôle du régime consti­tue une oppor­tu­nité à saisir. Pour cela, il faudra recons­truire une société civile – pas dans le sens simple­ment d’ONG, mais des orga­ni­sa­tions démo­cra­tiques, sociales par en bas, comme les syndi­cats, les asso­cia­tions popu­laires locales, les orga­ni­sa­tions fémi­nistes, etc.

Mais il y a bien sûr des défis, les groupes comme Hayat Tahrir al-Cham et l’Ar­mée natio­nale syrienne sont des orga­ni­sa­tions auto­ri­taires et réac­tion­naires qui, par leurs pratiques poli­tiques, n’ont pas laissé d’es­pace démo­cra­tique pour permettre l’auto-orga­ni­sa­tion par en bas.

C’est le plus grand défi. Un autre défi est de faire face à la divi­sion qui s’in­ten­si­fie malheu­reu­se­ment entre Arabes et Kurdes : les attaques de l’Ar­mée natio­nale syrienne sont un danger pour le futur de la Syrie et pour la ques­tion kurde. Ces groupes menés par la Turquie sont une menace mortelle, pas simple­ment pour le projet auto­nome du Nord-Est de la Syrie, mais pour les popu­la­tions kurdes. Ils menacent la diver­sité syrienne. Ce sont deux angles impor­tants selon moi.

De l’étran­ger, notre tâche est d’ai­der les groupes démo­cra­tiques, progres­sistes syriens, qu’ils soient Arabes ou Kurdes, à s’auto-orga­ni­ser, à faire face aux menaces, qu’elles soient locales, régio­nales ou inter­na­tio­nales. Il faut comprendre que la volonté de la plupart des régimes régio­naux ou inter­na­tio­naux est de main­te­nir une forme de stabi­lité auto­ri­taire, de ne pas voir la volonté démo­cra­tique des Syrien·nes se réali­ser. Dès lors, nous avons un rôle à jouer pour aider ces groupes démo­cra­tiques, progres­sistes, en relayant des infor­ma­tions et en les soute­nant.

La situa­tion permet une nouvelle ouver­ture pour ce qu’on a toujours consi­déré comme un proces­sus révo­lu­tion­naire à long terme au niveau régio­nal, avec des périodes de haut et de bas. On peut dire que la situa­tion actuelle permet de rouvrir cette porte.

En Europe, sur la ques­tion de la migra­tion, il faut toujours qu’on défende les droits de tou·tes les réfu­gié·es syriens et syriennes, sans excep­tion, pour qu’ils décident : certains vont vouloir reve­nir mais beau­coup vont vouloir rester, car ils ont fait leur vie ici, leurs enfants sont nés ici, en Europe. Il faut donc défendre leur droit à rester et empê­cher toute mesure qui pour­rait être prise par des États euro­péens pour les renvoyer par la force, et dénon­cer les proces­sus qui gèlent les demandes pour s’ins­tal­ler en Europe. Plus géné­ra­le­ment il faut se battre pour l’ex­pan­sion des droits des migrant·es à tous les niveaux.

Ce sont des tâches immé­diates, de même que proté­ger le proces­sus démo­cra­tique en Syrie, amélio­rer les condi­tions socio-écono­miques dans le pays, et dénon­cer les menaces et attaques menée par la Turquie et des groupes de l’Ar­mée natio­nale syrienne, ou autres, sur le Nord-Est, contre les popu­la­tions Kurdes. Concer­nant le mouve­ment de soli­da­rité avec la Pales­tine, il faut dénon­cer le rôle complice de nos classes domi­nantes qui soutiennent non seule­ment l’État raciste, de colo­nia­lisme de peuple­ment et d’apar­theid qu’est Israël et sa guerre géno­ci­daire contre les Pales­ti­nien·nes, mais aussi les attaques d’Is­raël contre la Syrie et d’autres pays de la région comme le Liban. Le mouve­ment doit faire pres­sion sur ces classes domi­nantes pour qu’elles rompent toute rela­tion poli­tique, écono­mique et mili­taire avec Tel-Aviv.

Toutes les forces régio­nales ou inter­na­tio­nales à carac­tère impé­ria­lise sont une menace pour les inté­rêts des Syriennes et des Syriens.

Dans le mouve­ment de soli­da­rité avec la Pales­tine, beau­coup de gens se demandent si la chute d’As­sad peut exer­cer une influence néga­tive sur le combat des Pales­ti­nien·nes. Qu’est-ce que tu en penses ?

À ce sujet, cela fait long­temps que j’ar­gu­mente sur le fait qu’on ne peut pas sépa­rer la ques­tion de la Pales­tine et les dyna­miques régio­nales de créa­tion d’un mouve­ment qui se bat pour l’éman­ci­pa­tion des classes popu­laires de la région. Dans certaines sections du mouve­ment pour la Pales­tine, ce lien entre la région et la dyna­mique de la ques­tion natio­nale pales­ti­nienne est plutôt vu par en haut, avec des régimes qui seraient, soi-disant, résis­tants – on parle d’un « axe de résis­tance » – et ces courants pouvaient voir d’un mauvais œil la chute d’un régime comme celui de la Syrie, ou décri­raient sa chute comme une suite du géno­cide à Gaza, de la guerre au Liban et, ensuite, du cessez-le-feu au Liban. Ils croient voir un complot améri­cano-sioniste pour faire chuter un régime résis­tant. Ce n’est pas du tout le cas, comme j’ai pu l’ex­pliquer aupa­ra­vant, et surtout, cette vision enlève toute forme de rôle pour les Syriens et Syriennes dans leur volonté de faire chuter ce régime. Cela leur enlève toute forme de capa­cité d’ac­tion, on ignore le rôle des Syrien·nes.

Mais ce n’est pas simple­ment un problème moral, qui consiste à soute­nir des dicta­tures mortelles, réac­tion­naires et auto­ri­taires contre la volonté d’éman­ci­pa­tion des classes popu­laires de la région, c’est aussi stra­té­gique­ment faux, parce que tous ces régimes ont toujours agi en fonc­tion de leur propre inté­rêt poli­tique et géopo­li­tique et, en aucun cas, n’ont cher­ché la libé­ra­tion des Pales­ti­nien·nes. Le régime syrien a une histoire de répres­sion des Pales­ti­nien·nes en Syrie, au Liban et d’at­taques sur le mouve­ment natio­nal pales­ti­nien. Des milliers de prison­niers poli­tiques pales­ti­niens étaient présents dans les geôles syriennes à la fin des années 80, sans parler du fait que depuis 2011, des milliers de Pales­ti­nien·nes ont souf­fert de la répres­sion du régime syrien, et que le camp de Yarmouk, un des plus grands camps à l’ex­té­rieur de la Pales­tine, a été attaqué en premier lieu par le régime syrien avant que Daesh y entre. De plus, depuis le 7 Octobre, la Syrie n’a abso­lu­ment rien fait pour aider les Pales­ti­nien·nes. De même, l’Iran cherche en premier lieu, à travers la ques­tion pales­ti­nienne, à avan­cer ses inté­rêts géopo­li­tiques, à l’uti­li­ser comme une carte dans les négo­cia­tions avec les États-Unis, notam­ment sur la ques­tion nucléaire. Son prin­ci­pal allié dans la région, le Hezbol­lah, a davan­tage cher­ché à proté­ger ses inté­rêts et ceux de l’Iran qu’à jouer un rôle déci­sif pour les Pales­ti­nien·nes ou en allé­geant leurs souf­frances dans le géno­cide à Gaza.

Donc il est stra­té­gique­ment faux de croire que ces régimes pour­raient jouer un rôle posi­tif dans la libé­ra­tion des Pales­ti­nien·nes. C’est la libé­ra­tion des popu­la­tions, des classes popu­laires régio­nales qui permet­tra de faire pres­sion sur Israël, parce qu’il y a des inté­rêts communs entre les classes popu­laires pales­ti­niennes et de la région. D’ailleurs, à chaque fois qu’on voit une libé­ra­tion des peuples, la ques­tion pales­ti­nienne revient au premier plan. Pour une fois, je suis d’ac­cord avec l’an­cien ministre des Affaires étran­gères israé­lien, qui décla­rait en 2011, à la suite de la chute de Muba­rak : « la prin­ci­pale menace pour Israël, ce n’est pas l’Iran, c’est une Égypte démo­cra­tique ».

Et on pour­rait étendre cette analyse à la possi­bi­lité d’une région démo­cra­tique. N’ou­blions pas que les gouver­ne­ments israé­liens succes­sifs étaient très contents de la présence d’As­sad pendant 40 ans. Le Premier ministre israé­lien a notam­ment déclaré en 2018 qu’il préfé­rait le main­tien du régime Assad tout en ajou­tant que depuis 1974 « aucune attaque n’a eu lieu contre le Golan occupé ». L’ar­mée d’oc­cu­pa­tion israé­lienne a d’ailleurs envahi la partie syrienne du mont Hermon, sur le plateau du Golan, afin d’em­pê­cher les rebelles de s’em­pa­rer de la zone, mais surtout elle a détruit les prin­ci­paux sites mili­taires en Syrie en menant plus de 400 frappes aériennes dans le pays, visant des batte­ries anti-aériennes, des aéro­dromes mili­taires, des sites de produc­tion d’armes, des avions de combat et des missiles, tandis que des navires lance-missiles ont frappé les instal­la­tions navales syriennes du port d’Al-Bayda et du port de Lattaquié dans le nord-ouest, où 15 navires de la marine syrienne étaient amar­rés. Ces raids visent à détruire les capa­ci­tés mili­taires de la Syrie afin d’em­pê­cher toute utili­sa­tion poten­tielle contre Israël – et à envoyer un message poli­tique clair selon lequel l’ar­mée d’oc­cu­pa­tion israé­lienne peut provoquer une insta­bi­lité poli­tique à tout moment dans le cas où le nouveau futur gouver­ne­ment adop­te­rait une posi­tion hostile ou belliqueuse à son égard. En bref, Tel-Aviv veut s’as­su­rer que tout nouveau pouvoir à Damas se comporte comme le précé­dent à l’égard de ses inté­rêts. Donc le mouve­ment natio­nal et le mouve­ment de soli­da­rité inter­na­tio­nale avec la Pales­tine doivent prendre en consi­dé­ra­tion les dyna­miques régio­nales, mais toujours dans une pers­pec­tive d’éman­ci­pa­tion par en bas, de libé­ra­tion par en bas des peuples, et non être une anti­chambre pour le soutien à des régimes auto­ri­taires réac­tion­naires.

Propos recueillis par Antoine Larrache le 9 décembre, texte relu et actua­lisé par l’au­teur le 16 décembre 2024

 

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