« Liste commune de la Nupes aux Européennes: stop aux caricatures! Ma réponse à Marine Tondelier et aux écologistes »
Billet d’humeur2 mai 2023
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Sur l’Ukraine d’abord, j’ai condamné à travers de multiples interventions dans l’hémicycle l’agression militaire russe inacceptable, dénoncé les crimes de guerre de Poutine et demandé qu’ils soient jugés, apporté un soutien sans faille au peuple ukrainien. Par mes votes au Parlement européen, j’ai également soutenu toutes les formes d’aide à la résistance ukrainienne. Nous avons en tout voté POUR 29 textes, résolutions, ou rapports sur le sujet ! Où est la complaisance là-dedans ? Quelle différence fondamentale avec ce qu’ont voté les verts français ? Aucune. Ah si, il y en a bien une seule : une résolution qualifiant la Russie d’”Etat terroriste” qui aurait soi-disant semé la discorde à gauche. Je m’en étais pourtant expliquée longuement ici en démontrant que cette notion n’avait aucune valeur en droit et pouvait s’avérer contre-productive pour la résolution du conflit. En réalité, si les verts ont choisi de voter pour la résolution dans son ensemble, ils ont également voté contre cette mention contre laquelle le Président de leur groupe avait d’ailleurs lancé la même alerte que nous !
Sur la Chine, quel est le problème ? Ai-je une seule fois par mes prises de positions publiques ou mes votes au Parlement européen refusé de condamner les violations des droits humains en Chine ou soutenu l’idée d’une invasion de Taiwan ? Voilà le texte de mon intervention lors de la plénière d’avril dans l’hémicycle où je parle du sujet : quel passage ou quel mot d’ordre ne convient pas ? J’ai condamné par mes votes la répression du mouvement social et démocratique à Hong Kong, bataillé contre l’exploitation du travail forcé des ouïghours par les multinationales européennes. Où est la complaisance ? J’accepte les critiques, mais qu’elles soient étayées et s’appuient sur des faits. Ces sujets sont sérieux : entrons dans le concret.
Sur les questions internationales en général, notre ligne est claire : nous voulons une Europe non-alignée. Non-alignée, ce n’est pas neutre, sinon on dirait neutre. Non-alignée, c’est se positionner au cas par cas avec comme seule boussole le respect du droit international et le cadre de l’ONU. Pas de guerre en Irak menée par les Etats-Unis. Pas d’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine. Pas d’invasion militaire de Taiwan par la Chine. Où est la différence fondamentale avec les verts ? Sur l’Europe de la défense, nous n’avons jamais dit qu’il ne fallait aucune coopération européenne en matière militaire et nous travaillons d’ailleurs actuellement à proposer un modèle alternatif. Mais l’Europe de la défense, telle que proposée aujourd’hui par la Commission, est sans conteste sous la coupe de l’OTAN et donc des intérêts des Etats-Unis. Les verts ont d’ailleurs longtemps été critiques de cette affiliation à l’OTAN qui empêche l’émergence d’une Europe géopolitique en capacité de peser : cela a-t-il changé ?
Marine Tondelier parle ensuite d’une volonté d’une Europe “plus forte”. Mais de quoi parle-t-on en pratique ? Si une “Europe forte”, c’est mettre fin à l’unanimité sur les questions fiscales pour lutter enfin contre les paradis fiscaux ou créer des ressources propres supplémentaires comme la Taxe sur les Transactions Financières pour financer des investissements écologiques, on signe. Si c’est pour supprimer le droit de véto (déjà affaibli) des Etats sur les accords de libre-échange, sans qui 15 traités supplémentaires seraient signés chaque année, on est contre. C’est ce que souhaiteraient les verts ? Si c’est pour des objectifs climat ambitieux ou des droits sociaux renforcés, on est d’accord. Si c’est pour appliquer la règle austéritaire absurde des 3% de déficit ou empêcher tous les monopoles publics au nom du droit européen de la concurrence, on est pour désobéir. Les verts veulent-ils accepter le retour de l’austérité annoncé la semaine dernière par la Commission avec des sanctions renforcées contre les Etats récalcitrants ? N’ont-ils rien à redire à la fin des tarifs réglementés du gaz et bientôt de l’électricité imposée au nom de la sacro-sainte règle de la concurrence inscrite en lettre d’or dans les traités ?
Je sais bien que non. Leur ancien 1er secrétaire a même écrit un livre intitulé “désobéir pour sauver l’Europe”. Donc vous le voyez, la question “pour ou contre une Europe plus forte” n’a pas de sens : le débat, c’est évidemment sur quoi et pour quoi.
Vient ensuite, l’éternel débat de “l’Europe fédérale”, question théorique qui a toujours animé les discussions enflammées de fin de soirée à gauche comme à droite. C’est une vision à un siècle, qui n’a au passage aucune réalité tangible vu les rapports de force au sein de l’UE aujourd’hui. Qui imagine, dans les circonstances actuelles, que les Etats membres vont se dissoudre d’ici 2029 dans un Etat fédéral européen ? Ce n’est pas sérieux. Depuis 4 ans que je siège au Parlement européen, je n’ai jamais eu à voter concrètement sur l’“Europe fédérale”. Par contre j’ai voté sur les accords de libre-échange, la régulation des pesticides, les mesures éthiques contre les lobbies, la réorientation de la PAC, les droits des travailleurs ubérisés. Et sur tout cela, j’ai tenu la même position que mes collègues écologistes. C’est pour cela que nous avons plus de 80% de votes en commun et même bien plus sur de très nombreux sujets. Si on prend au sérieux les élections européennes, ce sont donc ces sujets qui comptent car ce sont ceux sur lesquels les députés européens ont du pouvoir.
C’est mon dernier point de désaccord avec l’interview de Marine Tondelier. C’est précisément parce que les questions européennes sont importantes pour nous qu’il est essentiel de s’accorder dessus. Comment expliquer aux électeurs que nous serions incapables d’établir un programme d’actions commun en 2024 mais que nous le pourrions en 2027 alors que c’est le Président de la République qui pourra justement faire bouger les lignes en Europe ? Quel est l’intérêt de se mettre une épine dans le pied tout seul et de se refuser la possibilité d’arriver en tête devant le RN et Renaissance et donc d’incarner dans la tête des gens la seule alternative possible à Macron et Le Pen ? Quel est l’intérêt, aussi, de se refuser la possibilité de peser véritablement dans le jeu politique européen avec un intergroupe puissant de 25 ou 30 élus NUPES qui pourraient ré-arrimer des majorités à gauche au moment où la droite européenne fusionne avec l’extrême-droite ?
Je suis d’accord pour ne pas “instrumentaliser les questions européennes à d’autres fins”. Mais alors regardons les réalités, pas les fantasmes. Si listes séparées il devait y avoir, j’aime autant que ce ne soit pas pour de mauvaises raisons fondées sur des caricatures de nos positions et qu’on ne se mette pas de handicaps inutiles pour la suite. C’est la proposition que je faisais dans Libération la semaine dernière : partons sans a priori, ouvrons trois chantiers d’ici l’été et regardons si on est capable de s’accorder 1) sur un bilan de la mandature au Parlement européen, 2) les combats politiques prioritaires qu’on souhaiterait porter pour la prochaine, et 3) les consensus à trouver sur les sujets où ne sommes pas 100% d’accord. Voilà comment on peut avancer.
Nous ne partons pas de rien. Il y a un chapitre Europe au sein de notre programme commun des législatives de la NUPES et contrairement à ce que disent certains, il était consensuel et sans nuances contrairement à d’autres thématiques (je rappelle que le programme comporte plus de 650 mesures dont 32 avec des divergences mais aucune sur les questions européennes). Dans ces fameuses négociations de 13 jours et 13 nuits, la question européenne était au cœur de nos débats. Nos histoires à l’Union européenne divergent bien évidemment : j’ai fait campagne pour le non au TCE en 2005, d’autres au sein de la NUPES ont voté oui. Mais si nous avons su dépasser nos désaccords du passé, c’est précisément parce que nous avons choisi à un moment de mettre les caricatures de côté pour se projeter dans l’exercice concret du pouvoir : comment dépasser les contradictions entre nos propositions et certaines règles européennes ? Alors bien sûr, le programme doit être enrichi, complété, mais c’est une bonne base de départ. Et tout ce travail, quel que soit le résultat, sera utile pour affiner encore notre projet commun et démontrer notre capacité à gouverner ensemble.
Enfin, personne ne parle de “dissolution” des uns ou des autres. Où est la tentation hégémonique de la France Insoumise quand elle se dit prête à intégrer les équilibres de l’élection 2019 pour constituer la liste et à confier sa tête à un ou une écologiste ? Nous pouvons comme aux législatives lister les “nuances” qui nous sépareraient. Nous pouvons comme aux législatives siéger dans des groupes différents et nous coordonner en intergroupe. Nous pouvons comme aux législatives avoir des mots différents, des identités et des histoires différentes, mais défendre un socle commun de combats. Le parallèle que Marine Tondelier fait avec l’intersyndicale montre précisément la nécessité de se rassembler pour pousser dans la même direction face à l’urgence de la situation. A la fois face à la fusion en cours de la droite et l’extrême qui menace au Parlement européen et dans beaucoup d’Etats membres. Contre le retour du business as usual néo-libéral en Europe et son obsession d’austérité, de marché, de concurrence et de libre-échange. Et pour qu’une voix forte de la gauche et des écologistes français dans toute sa diversité s’exprime à Bruxelles et à Strasbourg.
Nous avons le temps, voyons-nous, travaillons comme on le fait d’ailleurs déjà au quotidien avec nos homologues écologistes et socialistes au Parlement européen. Je ne dis pas que c’est facile, je ne dis pas qu’il suffit d’un claquement de doigt pour y arriver, mais je dis que la liste commune est à la fois possible et nécessaire. Je me trompe peut-être, mais qu’on me le démontre avec des arguments sérieux et qui refusent les caricatures. Pour ne pas se priver de l’opportunité historique de l’emporter face aux macronistes et au Rassemblement National.